Critique | Musique

Drake – Nothing Was the Same

Laurent Hoebrechts
Laurent Hoebrechts Journaliste musique

HIP HOP | Attendu au tournant, le rappeur-superstar file un 3e album solide. Toujours en mode lover plombé, il parfait une formule qui a su bousculer les codes.

Drake - Nothing Was the Same

Début de l’année, Drake lâchait le premier single de son nouvel album. Hit instantanté, Started From The Bottom célébrait le parcours du rappeur canadien, parti de nulle part pour arriver au top. Certains ont pu ironiser: métis né de l’union éphémère entre un père afro-américain de Memphis et une mère canadienne juive, Aubrey Drake Graham (1986) a grandi dans les quartiers résidentiels de Toronto, avant d’être casté à l’âge de 16 ans pour la série ado Degrassi, nouvelle génération. Pas vraiment le récit classique de sortie du ghetto… La 2e partie de la proposition est moins contestable. « Started from the bottom, now we’re here », insiste Drake, ad libitum. « Here », étant en l’occurrence le sommet du rap business. C’est un fait: en à peine deux albums (Thank Me Later en 2010, Take Care en 2011, Grammy du meilleur album rap), Drake a réussi à se hisser parmi les superstars du genre -sa tournée 2012 a été la plus rentable du circuit rap…

Cette réussite, il l’a obtenue avec une proposition originale. Started From The Bottom sample un morceau du musicien ambient argentin Bruno Sanfilippo, tiré de son album Piano & Drones. Cela ferait un bon résumé du programme proposé par Drake: d’un côté, les mélancolies crépusculaires; de l’autre, les drones personnels (copyright Babx…) et autres tourments intérieurs. La manoeuvre a été jusqu’ici largement concluante: si Drake n’est peut-être pas le meilleur rappeur en activité, il n’en a pas moins profondément bougé les lignes du genre. Tout à coup, l’ego trip typique de la culture rap changeait de nature: il n’était plus seulement un exercice de musculation ou d’auto-prophétie, mais laissait enfin de l’espace pour gratter quelques plaies intérieures. En la matière, Kanye West avait déjà donné le ton. Mais au bouillonnement caractériel de Mr West, Drake opposait une méthode plus « feutrée ».

Nothing Was The Same confirme et creuse la voie empruntée jusqu’ici par Drake. Celle d’un disque hip hop qui aurait trempé dans un bain r’n’b plombé -le genre de roucoulades dont le rappeur transforme le miel (From Time) en vinaigre (Worst Behavior). Evidemment, l’album prend largement le temps de célébrer le nouveau statut de l’intéressé. Drôle de morceau en trois parties, Tuscan Leather ouvre par exemple le disque, en glorifiant les exploits de nouveau riche du Drake (le titre renvoie à un parfum de luxe de Tom Ford). Les love stories foireuses restent malgré tout le carburant principal de Nothing Was The Same, qui, enregistré en partie dans les anciens studios de Marvin Gaye, reste définitivement plus Here, My Dear que What’s Going On?

Du coup, rien ici ne devrait vraiment amener les sceptiques à changer d’avis. Les autres par contre apprécieront l’exercice. Disque solide et cohérent, Nothing Was The Same n’a pas besoin de révolutionner l’univers de Drake -il sera toujours temps au tour suivant. En attendant, il perfectionne la formule, drôle de recette qui rend le bourdon flamboyant.

  • Drake, Nothing Was the Same, distribué par Universal.

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Partner Content