Vidéo | Musique

Des clips et des claques

Laurent Hoebrechts
Laurent Hoebrechts Journaliste musique

Après plusieurs vidéos chocs, le duo français The Blaze sort son premier album, Dancehall. Et prouve que l’art du clip est plus vivant que jamais, outil poétique, voire, de plus en plus souvent, arme politique…

En général, il ne faut que quelques secondes aux vidéos de The Blaze pour capter le regard. C’est encore le cas avec celle de Queens, sortie ce mardi. Au départ, seuls quelques points lumineux éclairent faiblement le cadre noir. Puis, petit à petit, au fil du travelling, le décor et la mélancolie électro se précisent: à la porte d’une roulotte, une foule est en train de se recueillir, bougie à la main. La caméra fend la veillée funèbre manouche et rentre à l’intérieur de la caravane, où repose le corps d’une jeune fille. Recouverte d’un voile blanc, elle est pleurée par quatre femmes, têtes baissées. Une cinquième, le regard relevé, baigné de larmes, ne quitte pas des yeux la dépouille. Celle dont on comprend qu’elle était son âme-soeur, complice de chaque instant, partageant une même fureur de vivre.

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À bien des égards, Queens résume parfaitement l’esthétique de The Blaze: dramaturgie des sentiments, exacerbée par des plans au ralenti; images fortes qui fonctionnent presque comme des tableaux bibliques; tensions résolues dans la danse; la volonté aussi de sortir de certains schémas. Cette « charte » a été mise au point par deux cousins, Guillaume et Jonathan Alric, 35 et 29 ans (lire plus loin). Pour faire court, le premier s’occupe de la musique; le second, des images. Mais dans les faits, chacun appose sa patte sur les deux supports.

La démarche « multimédia » de The Blaze correspond bien à l’époque, où le visuel a pris une place à nouveau prépondérante. On pensait que la musique dématérialisée, privée de tout support, allait se suffire à elle-même. « Internet killed the video star« , avaient même osé certains (clin d’oeil au hit Video Killed the Radio Star, des Buggles). En fait, c’est l’inverse qui se produit. Depuis quelque temps, la vidéo est redevenue un enjeu fondamental pour les artistes et les maisons de disques. Au point de vivre aujourd’hui un « nouvel âge d’or du clip« , décrétait même le magazine américain Billboard, en juillet dernier…

Le poids du réel

Officiellement, The Blaze est né il y a un peu plus de deux ans, avec le clip de Virile (sic): dans une tour de banlieue (en fait, la Cité modèle, à Laeken), deux potes fument, dansent, chantent. Ils se cognent aussi et se frottent, pour mieux bousculer les schémas masculins et souligner l’ambiguïté de la bromance. Un an plus tard, une deuxième vidéo, Territory, raconte l’histoire d’un jeune Français d’origine algérienne retournant au pays. Le clip n’a pas seulement séduit le réalisateur « oscarisé » de Moonlight, Barry Jenkins (« THE best piece of art I’ve seen in 2017 HOT DAMN!« ), il a aussi amené le jury des Cannes Lions à lui remettre son grand prix, au nez et à la barbe de tous les créatifs en lice…

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Deux clips, deux coups de maître. Avant cela, le duo avait déjà conçu au moins trois autres titres. Entre-temps, ces ballons d’essai ont tous été retirés du Net. Il est cependant encore possible de lire leur scénario de base et d’imaginer leur mise en images: de Kiss, qui abordait « l’amour chez les personnes âgées« , à Hurt, traitant de la « violence infantile« , jusqu’à Holidays, qui s’attardait sur la vie « dans un petit village de la Nièvre, afin de montrer ce qu’une ville anodine de province peut renfermer comme charisme et chaleur humaine« . Dès le départ, la démarche était donc déjà bien esquissée: pour accompagner ses morceaux électro-dance, The Blaze a décidé de les ancrer dans le réel.

Quand on sonde leurs influences, les deux cousins évoquent d’ailleurs autant des réalisateurs de clips -Romain Gavras, en tête- que des cinéastes connus pour leur fibre « réaliste », voire « sociale ». Jonathan: « On est fans de Ken Loach. Et je suis certain que si les frères Dardenne réalisaient un clip, ce serait magnifique! » Citant aussi Les Valseuses de Blier, Guillaume continue: « Ce sont des réalisateurs qui livrent une certaine forme de vérité. Vous regardez leurs films, vous êtes directement touché, vous sentez que c’est sincère. » Aller chercher la « poésie » dans la « vraie vie », c’est un peu le motto de The Blaze. Leur manière à eux de casser les codes classiques du clip vidéo. Jonathan: « Les clips qui se contentent de filmer une fille en bikini qui danse devant de grosses bagnoles ou au bord d’une piscine, on a vu ça mille fois, ça ne nous intéresse pas. »

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Pour créer le décalage, The Blaze cherche notamment à montrer des visages et des corps que l’on ne voit pas forcément souvent dans les clips, a fortiori pour des morceaux électro-dance. C’est encore le cas avec Queens, qui se déroule dans le milieu des gens du voyage. Pour le coup, le binome explique avoir accompli un gros travail préparatoire. Une approche quasi documentaire qui correspond bien à l’une des tendances actuelles. De plus en plus, les artistes vont en effet puiser dans la « vraie vie » pour nourrir leurs clips et créer le « twist » qui va marquer les esprits. Ce sont par exemple les Anglais de Wild Beasts qui, pour Alpha Female, suivent des skateuses indiennes dans les rues de Bangalore. Pour la vidéo de son morceau Rush, le producteur canadien CRi a encore davantage flouté les frontières entre clip et docu: il donne carrément la parole aux habitants de Fermont, ville minière à l’extrême nord du pays, barricadée par un immense bâtiment, long de 1.300 mètres, et constituant une barrière pour les vents polaires.

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Dans un tout autre genre, l’une des vidéos qui a le plus tourné depuis sa mise en ligne, en février, est bien celle de God’s Plan de Drake. On pourra trouver le dispositif franchement discutable -en gros, le rappeur dépense tout le budget alloué au clip pour jouer au Père Noël, offrant là des bijoux, ici une bourse d’études, etc. Il n’empêche: filmée en partie sous forme de caméras cachées, la vidéo feelgood montre de « vraies » gens, avec de « vrais » problèmes…

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Le choc du discours

La démarche prend toutefois une autre tournure quand les artistes ne se servent pas seulement de la réalité, mais décident aussi de la dénoncer. Pour les vidéos de son dernier album en date, The Hope Six Demolition Project (2016), PJ Harvey avait notamment utilisé les images que le photographe/réalisateur Seamus Murphy a prises lors de voyages en Afghanistan. Plus clairement encore, les Français d’Odezenne ont attendu 2016 pour clipper leur morceau Novembre, en reprenant des extraits d’un docu tourné pendant les manifestations de Nuit Debout. Quelques mois plus tard, le réalisateur Arthur Muller propose au même groupe de clipper le titre Chimpanzé, avec les images du reportage qu’il a consacré aux migrants débarquant à Lesbos.

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De son côté, The Blaze se défend de toute prise de position trop clairement engagée. Jonathan: « Ce qui nous intéresse, c’est l’humain, la poésie. » De la poétique à la politique, il n’y a pourtant qu’un pas, quand, par exemple, le duo joue avec les codes masculinistes dans Virile, ou met sur la table la thématique des racines avec Territory.

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En réalité, l’exercice semble être devenu incontournable. Le monde tourne carré? Plus que jamais, les artistes le clament dans leur musique. Mais peut-être moins en se lançant dans de grands refrains contestataires qu’en misant sur le pouvoir de l’image. Même les Black Eyed Peas, que l’on pensait abonnés aux tubes pop pour bal de mariage, ont amorcé leur retour avec des clips explicitement politisés: la vibe jazz vintage de Street Livin’, les images de violences policières de Get It. Sans doute le succès d’artistes comme Beyoncé ou Kendrick Lamar a su « inspirer »… L’une comme l’autre ont effet montré qu’il était possible de tenir une posture engagée et d’obtenir une reconnaissance populaire.

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Le constat est d’ailleurs frappant: jusqu’ici, les clips qui ont le plus marqué l’année sont aussi ceux qui sont le plus chargés politiquement. On pense à la vidéo de Pynk, dans laquelle Janelle Monae appuie son discours féministe en arborant sa fameuse « robe-vagin ». Pour leur morceau Apeshit, Beyoncé et son mari Jay Z se sont carrément offert une visite privée nocturne dans les collections du Louvre. Une manière d’asseoir leur statut de couple royal de la pop, mais aussi de discuter les canons artistiques, qui restent essentiellement le fait d’une élite blanche et « européo-centrée ». Et puis, il y a le This Is America de Childish Gambino. À coup sûr, sa vidéo restera dans les annales. Réalisée par Hiro Murai, elle enchaîne les tableaux dérangeants, entre chorégraphies extatiques et explosion de violence armée. Jusqu’ici, Donald Glover -le vrai nom de Childish Gambino- a toujours refusé de décrypter en détail les multiples significations du clip. Sans doute parce que les images sont assez claires. Bourré de références plus ou moins explicites, le cauchemar éveillé de This Is America dénonce évidemment la situation de la communauté afro-américaine, et les violences physiques et psychologiques qu’elle continue de subir. Là aussi, le morceau ne s’est pas contenté d’être l’un des plus commentés et discutés depuis longtemps, il a aussi atteint la première place du hit-parade américain. Qui a dit que l’engagement politique ne payait plus?…

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The Blaze, Dancehall, distr: Animal63/Believe. ***

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Droit de regards

Des clips et des claques

Quand on rencontre Guillaume et Jonathan Alric dans les coulisses du Pukkelpop, ils cherchent un coin d’ombre. On peut peut-être déplacer la table et les chaises? Finalement, non, tant pis, on discutera sous le cagnard. « On ne voudrait pas passer pour des divas qui font tout bouger pour leur petit confort », rigole Guillaume. Du souci de l’image, déjà. Forcément, c’est ce qui les anime.

L’un et l’autre sont donc cousins. « Un lien familial, qui a l’avantage de rester léger: on n’est pas frères non plus », sourit Guillaume. « Et si on s’engueule trop sévère, on sait qu’il y aura de toute façon intervention du grand-père lors du prochain repas de Noël », rigole encore Jonathan. Plus âgé, Guillaume faisait déjà de la musique depuis un moment -notamment sous le nom de Mayd Hubb- quand Jonathan, élève à l’Inraci, à Bruxelles, lui a proposé de réaliser un premier clip ensemble. L’oreille de l’un, le regard de l’autre: c’est la formule mise au point par The Blaze, duo où la musique ne se conçoit pas sans visuel. C’est d’ailleurs parfois un peu la limite de leur premier album, Dancehall, tout juste sorti: sans les images, certains morceaux peinent à décoller, électro sensible mais par trop convenue. « Même si on ne clippe pas le morceau, on a malgré tout des images en tête », assure Jonathan. Quitte à les faire évoluer en cours de route: les images du clip de Heaven, par exemple, avaient été tournées sur une autre musique!

Soit. À l’originalité musicale, The Blaze oppose la sincérité de la démarche. Comme quand ils intègrent la communauté manouche pour le clip de Queens. Guillaume: « On s’est pas mal documentés en amont. Puis on a contacté Louis de Gouyon Matignon, un gadjo qui est un peu devenu l’avocat de la communauté manouche. Ce sont des gens qui sont souvent ultrastigmatisés, qui génèrent plein de fantasmes: le genre à vous accueillir par des tirs de carabines ou, dans le meilleur des cas, vous inviter à venir manger du hérisson (rires). Là, on a pu rencontrer une famille, passer du temps avec elle, apprendre à mieux connaître leur culture. »

Obsédé par le thème de la jeunesse – « moment-clé de liberté, où vous pouvez vous permettre un tas de choses »-, et par la corporalité – « on aime bien que les acteurs se donnent physiquement »-, The Blaze recherche avant tout le décalage qui va créer l’émotion, insiste le binome. Guillaume: « C’est pour ça qu’on aime filmer des gens dans la marginalité ou des physiques peu présents dans les médias. Ça crée une dissonance avec le côté parfois un peu dur de la musique électronique. Montrer des types virils qui généralement se la racontent en train de pleurer, ça donne forcément des images qu’on n’a pas l’habitude de voir. »

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