De La Soul, même pas mort: leurs six premiers albums (enfin) disponibles en streaming

“Allo, Maseo (Vincent Mason)? Ici, Posdnuos (Kelvin Mercer), un instant, je te passe Trugoy (Dave Jolicoeur).” © Getty Images
Laurent Hoebrechts
Laurent Hoebrechts Journaliste musique

Alors que De La Soul pleure toujours la disparition de Trugoy, ses six premiers albums sortent du purgatoire numérique, enfin disponibles en streaming!

La fête aura forcément eu un goût amer. Vendredi dernier, De La Soul célébrait la ressortie en vinyles et, surtout, l’arrivée de leurs six premiers albums sur les plateformes de streaming -enfin!-, plus de 30 ans après leurs débuts. La date choisie n’était pas complètement anodine. Le 3 mars ou 03/03: “three is the magic number”, comme le rappaient les lascars. Sauf que depuis le 12 février, les trois mousquetaires ne sont plus que deux: se débattant depuis plusieurs années avec des problèmes cardiaques, David “Trugoy” Jolicoeur est décédé, à l’âge de 54 ans.

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Il a fallu dix jours pour que ses deux camarades Kelvin “Posdnuos” Mercer et Vincent “Maseo” Mason s’expriment. Sur le compte Instagram Wearedelasoul, Posdnuos a notamment écrit: “Merci de nous avoir aidés à devenir un groupe qui restera ancré dans l’Histoire de la culture hip-hop comme dans celle de la fabrique de la musique.” Certes, les hommages adorent les hyperboles. Dans le cas de De La Soul, elles sont toutefois de circonstance. Dès son premier album, 3 Feet High and Rising, le groupe va en effet complètement chambouler les règles du rap –Le Sgt. Pepper du hip-hop, écrira le Village Voice à propos du disque. En 2010, 3 Feet High and Rising intégrera même la liste de la Bibliothèque du Congrès, reprenant les œuvres culturelles les plus significatives de la culture américaine.

Cela ne l’a pas empêché de rester, jusqu’à vendredi dernier, absent des services de streaming. Coincé, comme les cinq disques qui suivirent, dans un imbroglio juridique comme seule l’industrie du disque peut en provoquer.

Le temps des marguerites

Il faut bien mesurer le choc que constitue l’arrivée du trio formé par Posdnuos, Trugoy et Maseo. Quand 3 Feet High and Rising sort en 1989, l’ambiance n’est pas franchement à la rigolade. L’année précédente, Public Enemy a publié le brûlot It Takes a Nation of Millions to Hold Us Back, tandis que NWA inaugure officiellement le gangsta rap avec Straight Outta Compton. Le verbe est cru, la charge politique. De La Soul va changer la donne. Non pas que le trio zappe tout commentaire social. Mais il le fait en usant du second degré et d’un humour absurde.

De fait, Trugoy, Posdnuos et Maseo ne viennent pas des rues défoncées du Bronx, mais bien d’Amityville, banlieue noire de Long Island. Les reportages de l’époque les montrent assis sur les escaliers d’une maison cossue, entourée d’une impeccable pelouse verte. Difficile de jouer les gangsters… De La Soul crée donc sa propre partition. Épaulés par Prince Paul, producteur et DJ issu du groupe Stetsasonic, ils mettent au point une tambouille musicale bourrée de samples juteux, n’hésitant pas à élargir leurs horizons, citant aussi bien Kraftwerk que Johnny Cash.

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S’éloignant du réalisme de la rue, De La Soul a la rime poétique et le psychédélisme rigolard. Pour la pochette de 3 Feet High and Rising, le collectif anglais The Grey Organisation imagine un visuel jaune fluo, et un lettrage pop ultracoloré, remplaçant le “O” de De La Soul par le symbole de la paix. On les traite de babas cool, néo-flower power; ils réfutent et parlent plutôt de Daisy age -pour Da Inner Sound Y’all. Dans le clip de Me, Myself and I, Posdnuos et Trugoy endossent le rôle de nerds lunaires raillés par leurs camarades de classe. Samplant joyeusement Funkadelic, le morceau devient un tube mondial. En 1990, De La Soul devient même le premier groupe de rap invité à jouer sur la scène de Torhout/Werchter.

Le succès est mainstream. Et la méprise de plus en plus embarrassante… De La Soul se sent en effet coincé dans le rôle des gentils garçons, alternative “acceptable” aux rappeurs arborant flingues et chaînes en or. Beaucoup voient par exemple dans Me, Myself and I une critique des tics machos du hip-hop, alors que le morceau est avant tout une déclaration d’indépendance -“You say Plug One and Two are hippies/No, we’re not”, assure Posdnuos; “Please Let Plug Two be himself/Not what you read or write/Write is wrong when hype is written”, insiste Trugoy.

Tortues pas géniales

Deux ans plus tard, De La Soul va donc rectifier le tir. En 1991, ils publient De La Soul Is Dead. Sur la pochette, le pot de fleurs est renversé et cassé. Reprenant le fameux groove du Impeach the President des Honey Drippers, le premier single Ring Ring Ring (Ha Ha Hey) est toujours aussi irrésistible, mais cette fois le clip préfère le noir et blanc aux couleurs flashy. La critique embraie, le public un peu moins. Peu importe, le groupe a repris son histoire en main.

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Plus gênant est le procès auquel il se retrouve mêlé. Samplé dans le bref interlude Transmitting Live from Mars, le groupe sixties The Turtles veut faire payer l’addition. N’ayant pas forcément imaginé le succès qu’allait connaître 3 Feet High and Rising, le label Tommy Boy avait bien “clearé” une série d’échantillons. Mais une soixantaine seulement sur les plus de 200 utilisés. Celui des Turtles n’en faisait pas partie. De La Soul sera condamné à payer 1,7 million de dollars aux tortues californiennes.

L’affaire aura d’autres conséquences. Quand le streaming s’imposera comme solution pour sortir l’industrie du marasme, De La Soul sera obligé de passer son tour. Les droits d’utilisation des samples n’ont en effet été négociés que pour les formats vinyle et cassette. Et le label traîne des pieds pour réviser les contrats. C’est le blocage. Pour les nouvelles générations qui n’ont pas accès à son catalogue, De La Soul se résume alors surtout au rire orgiaque de Maseo sur le tube Feel Good Inc. de Gorillaz…

Comme souvent, il faudra un nouveau rachat (par la maison d’édition musicale Reservoir, en 2021) pour que la situation se dénoue. Et permettre enfin de redécouvrir ce qui reste l’une des discographies les plus importantes de l’Histoire du hip-hop.

Discographie complète des six albums désormais disponibles en streaming : 3 Feet High and Rising, De La Soul Is Dead, Buhloone Mindstate, Stakes Is High, Art Official Intelligence: Mosaic Thump, AOI: Bionix.

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