Christophe, l’embrasé

Un artiste qui mélange l'archaïque et le moderne, le trottoir et les étoiles, la variété et le rock. © F. DUGIT/BELGAIMAGE
Laurent Hoebrechts
Laurent Hoebrechts Journaliste musique

Christophe est décédé dans la nuit de ces 16 au 17 avril à l’âge de 74 ans. En guise d’hommage, nous republions cet interview qu’il nous donnait il y a quelques années, à l’occasion de la sortie de son dernier -et épatant!- album Les Vestiges du chaos.

Du plateau de Drucker aux colonnes des hebdos branchés, Christophe est décidément partout! A 70 ans, et avec un nouvel album épatant, il continue d’incarner cette figure improbable de la chanson française, entre tubes variétoches et crooning nocturne un peu fêlé. Le dernier des Mohicans.

Démarche cambrée de cow-boy, Christophe fait son apparition dans le salon des studios ICP, à Ixelles. Il est à peine 17 heures – encore un peu tôt pour lui (arrivé la veille, il est rentré aux petites heures de son escapade nocturne dans Bruxelles). Le chanteur porte les lunettes rondes fumées et la moustache Vercingétorix qui hésite toujours un peu: look de garagiste combinard ou dégaine de héros romantique… Pourquoi choisir, d’ailleurs? Puisqu’au bout du compte, Christophe est bien un peu les deux. A la fois auteur de tubes pour bal de camping et aventurier moderne de la chanson. Kitsch et grandiose. Léger et décalé. Ou, pour résumer, comme il l’avançait déjà sur son chef-d’oeuvre de 1978, beau et bizarre.

Longtemps, ce jeu d’équilibriste a pu lui jouer des tours. Aujourd’hui, cependant, Daniel Bevilacqua semble susciter l’unanimité. Sorti le mois dernier, son nouvel album, Les Vestiges du chaos, ne cesse d’accumuler les dithyrambes dans la presse, aussi bien dans les pages des hebdos branchés que dans les journaux populaires. Et c’est amplement mérité. Huit ans après l’orgiaque et complexe Aimer ce que nous sommes, Les Vestiges du chaos propose une alchimie plus directe: les morceaux y sont davantage décantés, mais pareillement singuliers.

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En 2009, la mort de Bashung avait créé un trou béant dans le paysage musical français: plus que jamais, Christophe semble être le seul à pouvoir le combler. A sa manière évidemment, mélangeant l’archaïque et le moderne, le trottoir et les étoiles, la variété et le rock: sur son dernier disque, il rend hommage à Lou Reed avec Lou, et Alan Vega chante sur Tangerine. Autre exemple: quand le 17 avril, il est l’invité d’honneur de l’émission dominicale de Michel Drucker, Christophe en profite pour y inviter les rockeurs indie américains de Future Islands (d’où cette scène improbable, à la télé française, du chanteur, Samuel Herring, grognant le refrain de Seasons, un dimanche, à l’heure du thé)…

La star du moment

Comme Bashung (Gaby Oh Gaby), Christophe a eu des hits casseroles (Aline), qui ont pu l’enfermer dans une image – celle de chanteur yéyé pour slow d’été. Mais il semble n’en avoir jamais pris ombrage. « Les incompréhensions? Je m’en fous, ça n’a aucune importance. Du moment que je me comprends moi. » C’est en effet déjà pas mal. A l’entame de son disque, il peut ainsi chanter, en crooner magnifique et funambule: « J’suis le plus pur, le plus embrasé que la Terre ait porté », et sonner entièrement juste…

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L’an dernier, Christophe a fêté ses 70 ans. Dont cinquante de musique, comprenant hits (Aline donc, Les Mots bleus, Les Marionnettes, etc.), classiques (les albums Le Beau bizarre, La Dolce Vita, Les Paradis perdus), et aussi grands passages à vide (en gros, 1985-1995). Ne lui parlez pas pour autant de carrière. « Je n’aime pas ça. Ce n’est jamais un truc que j’ai poursuivi. J’ai toujours choisi mes arrêts, et mes retours. Je me suis interrompu par exemple pour une collection de films. J’ai eu ma salle de projection. J’ai été projectionniste pendant dix ans. Je n’ai pas été figé par le désir de sortir tout le temps des disques. J’ai eu un parcours en dents de scie. Si vous me parlez de carrière, c’est autre chose. C’est quelqu’un qui s’accroche à quelque chose. Il est comme le collectionneur. Il s’accroche à la quantité. Moi, je ne suis pas collectionneur. Si je m’accroche, c’est à la pièce rare. Ce n’est pas pareil. »

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De ce parcours en zigzag, est né, lentement mais sûrement, un véritable culte autour du chanteur. En 1993, Dominique A reprenait Chiqué chiqué. Plus tard, c’est Sébastien Tellier qui se penchait sur La Dolce Vita. Récemment, le phénomène Christine & The Queens se réappropriait les Paradis perdus, auquel elle greffait le refrain d’un autre morceau, le Heartless du rappeur américain Kanye West. Le grand écart? « J’ai adoré! Justement à cause de ce mélange. » C’était en effet bien vu. Parce que s’il avait 20 ans aujourd’hui, Christophe ferait probablement du rap sous autotune (voir d’ailleurs le morceau Mes nuits blanches, en duo avec Orties, où il chante notamment, la voix déformée par le fameux logiciel, « Je suis le plus beau, le plus grand, suis vraiment la star du moment »).

En cela, il ne faudrait pas oublier que, plus encore que chanteur, Christophe se présente d’abord comme producteur. « C’est le son qui me passionne! » Là, par exemple, il s’enthousiasme pour la sortie du nouveau synthé OB 6; ou enregistre des sons de la pièce sur son téléphone. « Tous les jours, je reçois aussi cinq, six nouveaux plug-in (NDLR: petit logiciel de son). C’est un gros travail. Il faut être fouineur, chineur. C’est comme chercher une épingle dans une botte de foin, pour trouver le son qui va susciter quelque chose. C’est pareil avec les synthés analogiques, le piano, les percussions… ou des découvertes comme le hang. C’est une percu suisse, sur laquelle je suis tombé en me baladant sur YouTube la nuit. J’ai fini par en trouver un à Bali, que j’ai acheté à un Versaillais (sic). Mais bon, c’est une copie. L’original suisse s’appelle le PANArt. Mais ils ont arrêté de le fabriquer. »

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Gimmick sonore

Sur la scène française, Christophe reste ainsi cette anomalie formidable : celle d’un chanteur s’attachant plus au gimmick sonore qu’aux mots et à leur sens. Le seul mélodiste capable, en 2016, de glisser encore dans ses textes du « nana » ou « scoubidou » (et de le faire rimer avec « choubidou », sur Les Mots fous). « C’est un son. Un son qui fonctionne à cet endroit-là. Y a des gens dans ma maison de disques qui m’ont demandé si j’allais vraiment garder scoubidou. Ben oui, parfaitement, je vais garder scoubidou, vieux! »

Ah oui: visiblement, il a fallu un peu batailler pour imposer Les Vestiges du chaos. Quitte à remballer à un moment tout le monde, label comme musiciens. « Pour pouvoir chanter des mots, il faut un support qui soit excitant. Or, la résonance du son dans ma tête n’y était pas du tout. A un moment, il a fallu que je dise stop. Je ne voulais plus parler à personne. Je me suis retrouvé seul. Mais c’était mieux que d’être mal accompagné. Je me voyais bien me tirer à Tanger, jouer du piano dans les bars… je sais pas, on peut dire n’importe quoi! Le fait est qu’une fois seul, je me suis senti revivre. Donc, je me suis senti fort. Et j’ai pu me remettre au son. Finalement, via un intermédiaire, j’ai fait parvenir ma musique à la maison de disques. Qui est revenue vers moi, en me disant: « OK, c’est toi qui avais raison. » C’est bien, non? » Christophe, le dernier des Mohicans…

Christophe, Les Vertiges du chaos, distribution Universal.

>> Nos photos de son passage aux Ardentes, ainsi que le compte-rendu de ce même concert.

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