Annabel Lee, Endz, Romano Nervoso: ils ont sorti leur album en quarantaine

Comme ENDZ, également signé chez Luik Music, Annabel Lee a sorti son nouvel album en ces temps de confinement. Tout nus, tout fauchés? © Mat Gol
Julien Broquet
Julien Broquet Journaliste musique et télé

Sortir son disque pendant la pandémie? ENDZ, Annabel Lee et Romano Nervoso l’ont fait. Ou quand des albums belges résistent au coronavirus…

Sa pochette, des doigts qui s’entremêlent, fait étrangement écho à l’actualité et aux consignes de nettoyage de mains. Sacrée et cocasse coïncidence, Harmed, le deuxième album d’ENDZ, est sorti le 13 mars. Entre l’annonce des premières mesures drastiques prises par le gouvernement pour lutter contre le coronavirus et le début de leur mise en application. Le jour des supermarchés dévalisés, du papier-cul superstar et de la dernière cuite en public. On peut rêver de mieux pour présenter un nouveau disque. « Depuis quelques jours, je voyais des personnes qui se demandaient sur les réseaux sociaux si elles viendraient à notre release party de la semaine d’après. On sentait la crainte grandir. Ça a limite été un soulagement que les salles annoncent leur fermeture avant même que le politique l’impose », explique le chanteur Loïc Bodson. Les dates d’ENDZ au Trix et au Botanique ont respectivement été décalées au 15 et au 27 mai. Optimiste? Loïc nourrit des doutes quant à leur maintien.

« On ne va pas faire comme si on avait eu un plan. On n’a jamais, jamais, connu de situation pareille. La réalité dépasse toutes les anticipations. Le premier réflexe est de se dire: le disque est sur les plateformes, les internautes pourront l’écouter à défaut de l’acheter en magasin. En plus, ils sont confinés. Mais les chiffres du streaming sont partis à la baisse et les commandes se sont tassées. Les gens ont d’autres préoccupations. Je les comprends. La musique pour moi est essentielle et elle a en même temps quelque chose de dérisoire dans ce genre de circonstances. En plus, avec les gosses à la maison, c’est pas nécessairement évident d’écouter calmement un disque… (rires) « 

This is the ENDZ.
This is the ENDZ.© SEPPE SEGERS

Vu les hasards du calendrier, il était impossible pour le trio bruxello-namurois de se retourner et de suspendre la sortie. « Tout a basculé en quelques heures. Et quand on a réservé une date sur Apple Music ou Spotify, il est très compliqué d’en changer. Alors, on fait avec et on se pose des questions. Les fils Facebook sont accaparés par un tas d’autres choses. Il y a une saturation de l’information. On réfléchit à comment le défendre au mieux. » Comment donner de la visibilité, en somme, à un projet dans lequel ils ont mis du temps, des efforts, de l’argent. Loïc Bodson, Fabrice Detry et Kevin Guillaume sont allés enregistrer Harmed à Montréal avec Jace Lasek, leader des Besnard Lakes croisé au chevet de Suuns, de Wolf Parade mais aussi de Carla Bozulich et de Matana Roberts… « De manière générale, c’est un vrai challenge pour tous les trois de se retrouver. On a des agendas inconciliables. On avait envie d’une expérience studio. De s’enfermer pendant quelques jours ensemble, de ne pas perdre de temps sur la gestion de la technique. On voulait aussi un producteur qui soit le maître de la texture sonore, même si on avait des idées et des envies assez précises. » Avec un dollar canadien pas trop cher et un tarif journalier raisonnable, ENDZ s’est envolé pour le Québec et dix jours d’une intense productivité. « On n’est pas Suuns mais on voulait des guitares en avant, des effets. Ça nous a fait du bien aussi de travailler avec un anglophone. Il nous a fait remarquer qu’il fallait trancher entre l’accent anglais et américain. » Extraite du nouvel album, la chanson Doomsday (« Jugement dernier ») s’est retrouvée dans des playlists de confinement. « Elle ne parle pas du tout de virus. Elle évoque la Syrie, les guerres de drones. Elle a deux ou trois ans… »

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Online release show

Si pas mal de sorties belges ont été repoussées de quelques semaines, comme le disque de Glass Museum (désormais annoncé pour le 24 avril) ou encore de Flying Horseman (maintenant prévu le 12 juin), Annabel Lee a publié Let the Kid Go le 20 mars, comme prévu. « On n’a pas vraiment réfléchi à en postposer la sortie, avoue Audrey Marot. On ne se rendait pas trop compte de la durée du confinement et de la gravité de la situation. On avait déjà reçu une partie des disques, en plus. On en a d’ailleurs vendu lors de nos derniers concerts. »

Le 8 mars, Annabel Lee entamait sa première vraie tournée à Saint-Sauvant, en Charente-Maritime. Un baptême du feu aux allures apocalyptiques. « Hugo, notre batteur, est tombé malade. Genre vomissements, fièvre. J’ai chopé une petite crève. Et on est tombés en panne sur le chemin du retour. C’était le vendredi 13 fin d’après-midi. Vu les circonstances, on n’a pas réussi à trouver une bagnole de remplacement. A fortiori qui nous permette d’embarquer notre matos. Le papa de notre bassiste est venu de Mouscron nous chercher à Pont-l’Évêque… » Les deux dates du lendemain au Trix (Anvers) et au festival Arc-en-Musique (Écaussinnes) ont évidemment été annulées. Le garage a fermé et la voiture d’Audrey est immobilisée en France jusqu’à la fin du confinement. Le jour de la sortie de Let the Kid Go, elle a proposé un « online release show », un concert en solo à la maison. « On voulait le faire à trois mais on ne pouvait pas se réunir. Je me suis dit que je pouvais gérer toute seule. Je tenais à marquer le coup. Et ça a plutôt bien marché. On a attiré une centaine de personnes sur Twitch, sans compter Instagram. »

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Annabel Lee n’est pas tant embêtée par la fermeture des magasins (ce n’est pas là que le groupe vend pour l’instant ses disques) que par l’annulation de ses dates et la difficulté d’obtenir la fin de sa commande de vinyles. « On a écoulé les 100 premiers. Même mon exemplaire perso. Et on en attend encore 200. Par contre, on a plein de merchandising, un tas de trucs à vendre. Mais nous n’en avons plus l’occasion et c’est de l’argent qu’on a avancé.  » Concerts remis, tournée en suspens jusqu’à nouvel ordre et grand questionnement sur le visage que prendra l’été… Pas de quoi, Audrey l’espère, saper la chouette dynamique dans laquelle le projet baignait. « Le disque me semble moins naïf et garage que le précédent, même s’il y a encore de ça. Nous ne sommes plus qu’à trois dans le groupe et je ne suis pas une grande guitariste mais je l’ai composé pour cette nouvelle formule. Il y a cette chanson (L.A. ) avec Étienne (Kinkle) dont je suis contente. Elle a ce petit côté Mountain Bike… »

Giacomo Panarisi, le Nervoso en chef.
Giacomo Panarisi, le Nervoso en chef.© DR

À la casa

Romano Nervoso non plus n’a pas décalé la sortie de son disque. « C’était pas possible, assure Giacomo Panarisi. La promo a déjà commencé depuis longtemps. La machine est lancée. Le single avec Danko Jones tourne depuis novembre. Une sortie, ça s’orchestre. C’est un planning, d’environ six mois. » Les inventeurs du spaghetti rock n’ont rencontré aucun problème avec le pressage. Ils vendent The Return of the Rocking Dead en direct sur le site de leur label Mottow Soundz et n’ont jamais reçu autant de précommandes.

Ce disque, Panarisi et les siens l’ont fabriqué à la maison, dans le studio louviérois qu’ils ont bâti à la sueur de leurs mains. « Le précédent était très court, très punk. Cette fois, j’explore différentes facettes du rock, du hard, des musiques de film. Il est plus personnel. Plus dark. » François Maigret, le guitariste de No One Is Innocent, lui a filé un coup de main. « J’ai ajouté des cuivres. Je me suis fait plaisir. J’ai essayé d’aller le plus loin possible. Le fil rouge de cet album, c’est ma personnalité. « Une personnalité franche du collier, volontiers grande gueule, qui aime prendre à parti Berlusconi, célébrer ses héros et chanter ce qui lui casse les bonbons. We Missed You Jay Reatard rend hommage au regretté Jimmy Lee Lindsey, mort il y a dix ans dans son lit… « Ce qui me fait le plus mal au cul, c’est de ne jamais l’avoir vu en concert. Je l’ai découvert quelques mois avant sa mort. J’ai merdé. Mais après, j’ai tout bouffé. Ce mec avait la classe. Le talent, l’énergie, l’attitude. Il jouait de tous les instruments. Ma femme m’a glissé que le morceau lui ressemblait. Je me suis dit qu’il fallait y aller à fond et écrire des paroles à son sujet. Reatard incarne l’intégrité dans le punk. Il a ouvert la porte à Ty Segall, Thee Oh Sees et tout le garage moderne. »

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Ce qui enthousiasme nettement moins Panarisi, ce sont les enfants du Web. « La chanson The Internet Generation parle de tout ce qui se passe aujourd’hui. De tous ces gens lobotomisés par le Net et moins intéressés par la musique que par les couillonnades qu’un artiste va poster sur Twitter. De tous ces jeunes qui aiment regarder de la violence gratuite en ligne. J’ai eu l’idée en écoutant Blank Generation de Richard Hell… Le monde part en sucette et Internet n’y est pas étranger. Ça me fait peur. C’est pour ça que je ne veux pas de gosse. »

Plus encore que d’habitude en ces temps de confinement, Giacomo boude Facebook, Instagram et compagnie. « Ce n’est pas moi qui gère nos comptes. J’en suis encore au Commodore 64. J’utilise seulement les réseaux sociaux pour prendre des nouvelles de l’Italie. Tout le monde est médecin, virologue, psychologue. T’en sors plus entre les fake news et les théories du complot. »

Pendant ses premiers jours de confinement, avec l’humour qui le caractérise, Panarisi a tourné une petite vidéo pour montrer comment se laver convenablement les mains. Revisitant au passage les paroles de Stayin’ Alive. « Fallait rester à la casa. J’avais pas envie d’un livestream. L’acoustique, c’est pas mon truc. J’ai donc essayé de faire rire un peu les gens en ces temps moroses. » Il a aussi profité du repos forcé pour composer. « Mon prochain album est déjà écrit. »

Comment s’annonce la suite des événements? Quid de la tournée? Romano a donné son dernier concert en Slovénie le 8 mars. Il devait se produire deux jours plus tard en Croatie. « On a reçu des papiers officiels des gouvernements pour nous signifier qu’on ne nous laisserait pas entrer sur le territoire. Le management nous a dit de rentrer au plus vite, qu’il valait mieux être en quarantaine à La Louvière qu’à Sarajevo ou Plovdiv. » Le city trip devait commencer par trois gigs en Italie, rapidement annulés. « On était censés partir pour 25 dates et au final 24 ont sauté. On a reporté la tournée au mois d’octobre. Sans les concerts, on va crever la dalle pendant cinq ou six mois. Après, faudra montrer qu’on est encore là… »

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Annabel Lee, Endz, Romano Nervoso: ils ont sorti leur album en quarantaine

Annabel Lee – « Let the Kid Go »

Distribué par Luik Music. ***(*)

Dernier poème écrit par Edgar Allan Poe, traduit en français par Mallarmé, cité par Lou Reed et chanté par Joan Baez, Annabel Lee est aussi le nom d’un groupe belge emmené par Audrey Marot. Après l’intimiste Little Sad and Not So Sad Songs sorti en 2018, Let the Kid Go offre un aller simple pour les années 90 et le son MTV d’époque. Un album de rock juvénile, innocent, mélancolique et pétillant qui invite Étienne « Titi » Kinkle de Mountain Bike à venir pousser la chansonnette (L.A.). Frais, léger, printanier, plus proche de Best Coast, d’Alvvays et des Dum Dum Girls que de la rebelle Courtney Barnett. Ou lorsque une petite bise gaumaise souffle sur l’étouffement du confinement…

Annabel Lee, Endz, Romano Nervoso: ils ont sorti leur album en quarantaine

ENDZ – « Harmed »

Distribué par Luik Music. ***(*)

Super groupe bruxello-namurois composé de Loïc Bodson (Flexa Lyndo), Fabrice Detry (Fabiola, Austin Lace) et Kevin Guillaume (He Died While Hunting), ENDZ signe avec Harmed un album bien foutu dans son genre, qui marie la pop belge à ses influences indés américaines… Enregistré à Montréal avec Jace Lasek (Suuns, Wolf Parade, Patrick Watson…), Harmed est un disque qui chérit les mélodies, les guitares et le chant clair. Un album de power pop qui croule sous les influences, aime le changement de cap et le final explosif. Tiré par ses deux singles, l’immédiat et entêtant Ashamed et Newly Executive Bored (Supergrass batifole sous la couette avec Queens of the Stone Age), Harmed varie les plaisirs. This is the ENDZ.

Annabel Lee, Endz, Romano Nervoso: ils ont sorti leur album en quarantaine

Romano Nervoso – « The Return of the Rocking Dead »

Distribué par Mottowsoundz. ***(*)

Après le plutôt juvénile I Don’t Trust Anybody Who Doesn’t Like Rock’n’ Roll qui faisait la fête au punk, The Return of the Rocking Dead est l’oeuvre d’un Romano Nervoso mature à défaut d’être assagi. Il y a des chants limite grégoriens (façon Tastes Good with The Money de la Fat White Family), une fausse reprise assumée de Jay Reatard, des incarnations vocales à la Mike Patton (Bad Husband, Il Ritorno dello Psicopatico), l’ambiance et l’ampleur des BO de Morricone, le côté théâtral d’Alice Cooper, un rejeton des Dandy Warhols et de Black Rebel (Tell Me What Happened to Your Rock’n’Roll) ou encore une bluffante reprise du Babooshka de Kate Bush chantée à la manière d’un crooner italien sur ce disque de toutes les excentricités.

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