Aldous Harding, à fleur de peau

Aldous Harding: "J'aimerais parfois disparaître sous mes écouteurs. Quand je suis toute seule, ce que j'écoute est mon business. Mon jardin secret." © Cat Stevens
Julien Broquet
Julien Broquet Journaliste musique et télé

L’énigmatique et ensorcelante singer-songwriter néo-zélandaise Aldous Harding lève un petit coin du voile avant de faire escale à l’Ancienne Belgique. Larmes fatales.

Sur ses gardes, cérébrale, sensible, elle parle lentement. Pèse ses mots. S’interrompt souvent. Elle a le regard triste. L’abord sympathique tempéré par la moue de la fille compliquée. Née en 1990, Aldous Harding est ce qui est arrivé de plus intense au folk depuis longtemps. Néo-Zélandaise, fille de musiciens, Hanna Claynails (dixit sa carte d’identité) Harding est née à Auckland, a trois demi-soeurs et a grandi à Lyttelton seule avec sa maman. Une petite ville portuaire de 3000 habitants où Peter Jackson a tourné les extérieurs de Fantômes contre Fantômes. Son dernier film avant Le Seigneur des anneaux. « On écoutait surtout la radio, se souvient Aldous. Il n’y avait pas une incroyable collection de disques à la maison. On n’avait même pas de platine. Ma mère n’était pas particulièrement curieuse musicalement parlant. Elle savait ce qu’elle aimait. Bonnie Raitt, Alison Krauss, Tom Waits, Frank Zappa, Janis Joplin… Elle faisait sa propre musique aussi. »

C’est sur l’un des disques de Lorina d’ailleurs, Clean Break, qu’ Hanna donna pour la première fois de la voix. Elle avait douze ans. « Je préfère ne pas parler de ça. Je suis la combinaison de deux personnes très compliquées. Comme nous le sommes tous plus ou moins. Je ne veux pas les traîner dans mon histoire comme je ne veux pas qu’ils me traînent dans la leur. »

La douce, dépouillée, écorchée et vénéneuse Néo-Zélandaise a reçu sa première guitare à sept ans mais n’avait rien d’une enfant prodige. « Ma mère me l’a achetée pour Noël. Un truc très bon marché de débutant. Mais je n’y ai pas touché. Ça ne m’intéressait pas. Ce qui me branchait, c’était les cochons d’Inde. Je voulais devenir vétérinaire. J’étais passionnée par les animaux et par la danse, le ballet, la comédie, la lecture. Mais je ne rêvais pas de faire comme les gens à la radio. Ce que je regrette maintenant. Je serais sans doute une bien meilleure guitariste. »

Aldous esquisse un sourire. Aborde sa première découverte musicale, enfant, le Summer Breeze de Seals and Crofts. « La plus belle chose que j’avais entendue. » Puis son intérêt pour Bob Dylan. « Celui des débuts. » Nick Drake. Vashti Bunyan. « Joanna Newsom? Pas particulièrement. Même si elle est incroyable. Je n’ai jamais essayé de ressembler à qui que ce soit et je n’ai sans doute jamais non plus été vraiment fan de quelqu’un. Quand j’ai enregistré Aldous Harding, mon premier album, je ne m’attendais pas à devenir une chanteuse à temps plein. Ni même une musicienne. J’immortalisais juste mes chansons parce que mes amis me le demandaient. Je pense que je le voulais aussi. Mais je n’imaginais pas que les choses se passeraient comme ça. Je n’ai rien fait pour. Même si je suis contente que ce soit arrivé. »

Il y a chez Aldous beaucoup de doutes, des questions sans réponses et des réponses sans questions. Comme une quête de légitimité que ses chansons bouleversantes auraient dû à elles seules balayer. « Je ne me disais pas: les gens vont adorer. J’ai été surprise qu’ils apprécient. Mais je pouvais continuer et c’est ce que j’ai fait. Je ne prétends pas que c’est de la qualité pour qui que ce soit d’autre que moi. Mais certains sont intéressés. Sinon on ne serait pas là à en discuter. »

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De Perfume Genius à John Parish

Aldous parle d’écriture. Se souvient de Paradise, un poème effrayant pondu en fin d’adolescence. « Ça parlait de rencontrer un garçon, de tomber amoureuse, de le laisser absorber ta vie et te transformer en objet. Je ne sais pas d’où ça venait. Peut-être des morceaux de ma mère. Je ne sortais pas avec beaucoup de mecs à l’époque. Le mot poésie suppose une signification profonde, du poids, de la qualité. Mais ce n’était pas le cas. Ça ne m’intéresse pas du tout d’écrire de la poésie. Je veux écrire des chansons. Les poèmes sont souvent une souffrance pour moi. Je veux que les gens comprennent mon art mais je n’aime pas me forcer à comprendre l’art des autres. Quand je ne comprends pas, j’abandonne. C’est que ce n’est pas pour moi. »

Aldous Harding, à fleur de peau

Pote de Nadia Reid avec qui elle a habité et pour qui elle a assuré des choeurs, Harding a été découverte dans la rue par la chanteuse Anika Moa qui l’a invitée à assurer sa première partie le soir même. Aujourd’hui, sur Party, elle travaille avec John Parish et collabore avec le Perfume Genius Mike Hadreas. « Mon amie Laura Jean avait enregistré son album avec John. J’adorais PJ Harvey et mon père était fan d’Howe Gelb avec qui il a bossé. Elle m’a filé son adresse mail et je lui ai envoyé ma démo de Party. On n’a vraiment pas beaucoup parlé. Ça a été très simple. J’ai été à Bristol. On s’est assis. Et on a fait un disque. » La participation de Hadreas à Swell Does the Skull semble tout aussi naturelle et spontanée. Ils se sont rencontrés lors d’un concert en Australie. « Je connaissais un peu sa musique. Puis, je l’ai vu sur scène et j’ai adoré. Il était effrayant et sensuel. Il a aimé Swell Does the Skull et est venu me le dire après le concert. Je lui ai répondu que c’était écrit comme un duo et qu’il devrait le chanter avec moi. Je lui ai envoyé un mail quand on a enregistré le disque. »

Cet album, Harding lui donne vie dans une espèce d’étrange schizophrénie vocale. Comme si elle incarnait de nouveaux personnages à chacune de ses chansons. Elles s’accompagnent sur scène de visages grimaçants. « Je peux me permettre beaucoup de choses avec ma voix. C’est marrant. John pendant l’enregistrement disait que je savais toujours quoi en faire. Que j’avais une espèce de certitude dans mon incertitude. Ce sont des personnages quelque part. Différentes facettes d’une même personne. En l’occurrence moi. Peut-être que je me protège. Peut-être que ça vient d’une perception de soi un peu tremblante même si je n’en ai pas le sentiment. Des personnalités, j’en ai beaucoup. Comme un tas de gens, ne me comprends pas mal. Mais toute cette industrie, ce qui va avec, tous ces gens qui essaient de te déshabiller et de dévoiler les choses qui te rendent intéressant m’effraient. Je suis bien plus à l’aise sans la présence d’un enregistreur. »

Aldous Harding, Party, distribué par 4AD.

Le 14/11 au Grand Mix (Tourcoing) et le 15/11 à l’AB Club (complet).

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