Magritte du cinéma : le triomphe de « Dalva »

Emmanuelle Nicot
FocusVif.be Rédaction en ligne

« Dalva » d’Emmanuelle Nicot a remporté sept prix samedi lors de la 13e cérémonie des Magritte du cinéma, dont celui du « Meilleur film ». « Augure » de Baloji décroche cinq statuettes saluant sa direction artistique. Retour sur le palmarès et la soirée.

Aux Magritte, Dalva concourait dans pas moins de neuf des 23 catégories. Sur ces neuf nominations, le film dirigé par Emmanuelle Nicot et produit par Julie Esparbes pour Hélicotronc, en a raflé sept, dont ceux des catégories très disputées du « Meilleur film » et du « Meilleur premier film » et, pour couronner le travail précis et délicat d’Emmanuelle Nicot, celles de la « Meilleure réalisation » et du « Meilleur scénario« .

La très jeune interprète du film, Zelda Samson, stupéfiante de naturel, a également été saluée, recevant le prix du « Meilleur espoir féminin« . Le film a enfin valu le prix de la « Meilleure actrice dans un second rôle » à Sandrine Blancke, ainsi que celui du « Meilleur son » au quatuor formé par Fabrice Osinski, Valérie Le Docte, Aline Gavroy et Olivier Thys.

Le sujet difficile de l’inceste

Dalva, interprétée par la jeune Zelda Samson, a 12 ans, mais s’habille et se maquille comme une femme. La justice décide de la retirer contre sa volonté du domicile paternel. Elle fait alors la connaissance de Samia, une adolescente au fort caractère et de Jayden, un éducateur.

Le film, qui traite du sujet difficile de l’inceste, a débuté sa carrière en beauté au Festival de Cannes, sélectionné à la Semaine de la critique, où il a reçu pas moins de trois récompenses dont celui de la « Révélation » pour sa jeune interprète. Emmanuelle Nicot signe avec « Dalva » son premier long métrage.

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La productrice Julie Esparbes s’est, dans son discours, adressée à la réalisatrice Emmanuelle Nicot: « ce film, ‘Dalva’, tu l’as tourné alors que tu avais accouché quelques mois plus tôt de ton premier enfant. Te voir donner vie à deux bébés en parallèle, ça m’a emplie d’espoir pour le parcours des réalisatrices à venir. Leur place est là et la maternité n’est plus une fin », a-t-elle déclaré.

« Ce soir, j’ai une pensée particulière pour les enfants qui, comme Dalva, sont meurtris par les adultes qui sont censés les protéger. Pour celles et ceux qui sont parvenus par leur force et leur courage à sortir de l’emprise, pour celles et ceux qui seront à jamais brisés, pour celles et ceux qui parlent, mais ne sont pas écoutés¿ », a-t-elle ajouté. « Les chiffres sont édifiants et terrifiants: on parle de deux à trois enfants par classe. L’inceste n’est pas une marge, on le sait, et pourtant le tabou persiste. On a pu le constater en fabriquant et en diffusant ce film. C’est pourquoi on a été portées par la conviction que certaines histoires devaient urgemment être racontées à hauteur de victime. Pour donner la parole à celles et ceux qui ne l’ont pas. »

« Augure », l’autre belle présence au palmarès

Autre belle présence au palmarès, celle d' »Augure » de Baloji, dont la direction artistique notamment a été saluée par les membres de l’Académie André Delvaux. Le film a récolté cinq récompenses.

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Le cinéaste s’est ainsi vu primé pour la « Meilleure musique originale« , qu’il a composée, ainsi que pour les « Meilleurs costumes« , qu’il a imaginés en collaboration avec Elke Hoste. Sa cheffe décoratrice Ève Martin a décroché le prix des « Meilleurs décors« , son directeur de la photographie Joachim Philippe a remporté celui de la « Meilleure image« . Enfin, l’excellente Yves-Marina Gnahoua a reçu (ex-aequo avec Sandrine Blancke) le prix de la « Meilleure actrice dans un second rôle » récapitule l’Académie André Delvaux, organisatrice de l’événement, dans un communiqué.

Côté interprétation, Arieh Worthalter s’est, pour sa part, doublement distingué en étant le premier interprète à se voir remettre deux prix en une seule soirée, souligne l’organisation des Magritte. Suite à son sacre aux César, le comédien belge s’est vu une nouvelle fois primé pour sa performance dans « Le procès Goldman » de Cédric Kahn, alors que sa prestation dans « Rien à perdre » de Delphine Deloget lui vaut le Magritte du « Meilleur acteur dans un second rôle ».

Du côté des actrices, l’incontournable Lubna Azabal rejoint Emilie Dequenne au rang des comédiennes trois fois auréolées par le Magritte de la « Meilleure actrice » pour son rôle dans « Le Bleu du caftan » de Maryam Touzani.

Le cinéma belge dénonce les abus de pouvoir en son sein et les violences au Proche-Orient

C’est le discours de son président, Bouli Lanners, qui a ouvert la cérémonie. Il a dénoncé les violences faites aux femmes et les abus de pouvoir. D’emblée, l’acteur et réalisateur a rappelé les chiffres des féminicides en Belgique – au moins 26 en 2023 -, avant de souligner que le cinéma avait pour mission d’entendre, de comprendre, d’éclairer et de raconter. Écouter les travailleuses, les victimes, les femmes, les enfants et les hommes qui souffrent aussi du même mal. Au sujet du cinéma, il a assuré que « le harcèlement, l’abus de pouvoir, le viol ne feront plus jamais partie de ce métier ». « Mais uniquement si nous avons le courage et la volonté d’écouter, de comprendre et de changer », a martelé le cinéaste, qui a récemment évoqué avoir été harcelé et dénigré par une réalisatrice.

« Le monde du cinéma, y compris en Belgique, est trop souvent un monde où l’abus de pouvoir est perçu comme inhérent à la discipline », a confirmé dans son discours la monteuse Sophie Vercruysse, récompensée avec Raphaël Balboni pour « Le Syndrome des amours passées« . « Un monde où l’exception culturelle a trop souvent mené à un aveuglement exceptionnel envers le rapport de force, l’emprise et la maltraitance. Un monde où les prédateurs peuvent en toute impunité abîmer hommes et femmes. » L’artiste veut la fin de ce système. « Il doit renaître sous un jour nouveau pour que la joie reprenne ses droits: joie de créer dans un cadre sécurisé, joie de mêler nos talents lorsque nous nous sentons en confiance. Rien de sincère ne peut sortir d’une salle de montage sans cette confiance réciproque. »

Les Magritte du cinéma s’inscrivent dans la saison annuelle de remises de prix cinématographiques par les académies nationales, comme les César en France, les Oscars aux États-Unis, les Goya en Espagne ou encore les BAFTA au Royaume-Uni. Sans oublier l’équivalent flamand des Magritte: les Ensors, qui se sont tenus début janvier. Le temps d’une soirée retransmise en direct à la télévision, la grand-messe du 7e art en Belgique francophone braque ainsi les projecteurs sur le cinéma noir-jaune-rouge. Cette 13e édition des Magritte du cinéma était présentée en direct du Théâtre National Wallonie-Bruxelles par le comédien et réalisateur Patrick Ridremont.

La soirée a en outre aussi été marquée par des manifestations de soutien aux victimes palestiniennes et israéliennes.

Après la remise des prix des « Meilleures actrices dans un second rôle », Sandrine Blancke a invité le public à monter sur la scène du Théâtre National Wallonie-Bruxelles. « Nos pensées vont aux familles et aux proches des 1.200 victimes de l’attentat du Hamas du 7 octobre, mais aussi aux familles des 30.000 Palestiniens et Palestiniennes tués par Israël à Gaza. Nous appelons au retour des otages, mais nous disons aussi l’impossible justification morale du massacre humain, matériel, et éthique en cours à Gaza depuis cinq mois », ont déclaré un ensemble d’acteurs, de réalisateurs, et d’autres travailleurs et travailleuses du monde du cinéma. Ces artistes ont dénoncé une guerre contre le récit palestinien. Ils ont aussi témoigné leur solidarité avec tous les peuples victimes de génocide. « Nous pensons notamment au Congo. Nous ne détournons pas le regard ! »

Arieh Worthalter, sacré « Meilleur acteur » pour son rôle dans « Le procès Goldman » et « Meilleur acteur dans un second rôle » pour « Rien à perdre », s’est également exprimé sur la situation à Gaza. « J’ai bien conscience qu’ici dans notre petit pays, des gens ont peur », a-t-il observé. « Des juifs, des musulmans et d’autres, des voisins, de la famille, qui assistent à une montée en puissance d’antisémitisme, d’islamophobie, de racisme, de discrimination en tous genres. Des hommes et des femmes qui voient leur société se déchirer au sujet de leur sort, leurs droits, leurs places, leur légitimité. Des gens qui ne savent plus comment vivre leur histoire nationale sans se voir reprocher leur histoire culturelle, leur passé millénaire. »

L’acteur a souligné l’importance d’appeler le gouvernement belge à prendre position face à un autre gouvernement qui « sombre dans une rage et dans une vengeance sans limite ». Mais il a aussi mis en lumière notre responsabilité individuelle, plaidant pour que chacun d’entre nous lutte « contre les amalgames pour ne pas alimenter cette colère et cette haine qui gangrènent notre société ».

Lubna Azabal, auréolée « Meilleure actrice » pour son rôle dans « Le bleu du caftan », s’est également ralliée à ceux qui demandent un cessez-le-feu immédiat à Gaza et la libération des otages. « Mes pensées vont aux enfants de Gaza parce que j’entends leurs cris, leur terreur, leurs larmes, leur détresse, leur solitude, comme j’entends la terreur, l’angoisse, l’horreur et la solitude des otages qui sont encore emprisonnés là-bas », a-t-elle exprimé.

Le palmarès des Magritte du cinéma 2024

  • MAGRITTE DU MEILLEUR FILM – MAGRITTE DU MEILLEUR PREMIER FILM – MAGRITTE DE LA MEILLEURE RÉALISATION – MAGRITTE DU MEILLEUR SCÉNARIO ORIGINAL OU ADAPTATION : « Dalva »
  • MAGRITTE DU MEILLEUR FILM FLAMAND : « Débâcle » de Veerle Baetens
  • MAGRITTE DU MEILLEUR FILM ETRANGER EN COPRODUCTION : « Vincent doit mourir » de Stephan Castang
  • MAGRITTE DE LA MEILLEURE ACTRICE : Lubna Azabal dans « Le Bleu du Caftan« 
  • MAGRITTE DU MEILLEUR ACTEUR :  Arieh Worthalter dans « Le Procès Goldman« 
  • MAGRITTE DE LA MEILLEURE ACTRICE DANS UN SECOND RÔLE – ex-aequo : Yves-Marina Gnahoua dans « Augure » et Sandrine Blancke dans « Dalva »
  • MAGRITTE DU MEILLEUR ACTEUR DANS UN SECOND RÔLE : Arieh Worthalter dans « Rien à perdre« 
  • MAGRITTE DU MEILLEUR ESPOIR FÉMININ : Zelda Samson dans « Dalva »
  • MAGRITTE DU MEILLEUR ESPOIR MASCULIN :  Lazare Gousseau dans « Le Syndrome des amours passées »
  • MAGRITTE DE LA MEILLEURE IMAGE :  Joachim Philippe pour « Augure »
  • MAGRITTE DU MEILLEUR SON : Fabrice Osinski, Valérie Le Docte, Aline Gavroy et Olivier Thys pour « Dalva »
  • MAGRITTE DES MEILLEURS DÉCORS : Eve Martin pour « Augure »
  • MAGRITTE DES MEILLEURS COSTUMES : Elke Hoste et Baloji pour « Augure »
  • MAGRITTE DE LA MEILLEURE MUSIQUE ORIGINALE : Baloji pour « Augure »
  • MAGRITTE DU MEILLEUR MONTAGE : Sophie Vercruysse et Raphaël Balboni pour « Le Syndrome des amours passées »
  • MAGRITTE DU MEILLEUR DOCUMENTAIRE : « Adieu sauvage » de Sergio Guataquira Sarmiento,
  • MAGRITTE DU MEILLEUR COURT MÉTRAGE DOCUMENTAIRE : « En attendant les robots » de Natan Castay
  • MAGRITTE DU MEILLEUR COURT MÉTRAGE DE FICTION : « Les Silencieux » de Basile Vuillemin, produit par Samuel Feller (Magellan Films)
  • MAGRITTE DU MEILLEUR COURT MÉTRAGE D’ANIMATION : « Pina » de Giuseppe Accardo et Jérémy Depuydt
  • MAGRITTE D’HONNEUR : Aurore Clément

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