visite guidée de la sphère beatles avec escale à hambourg, où tout a commencé

Liverpool-Londres

Il n’y a guère que 18 mois entre les premiers concerts sous le nom de Beatles au Casbah Coffee Club, à Liverpool, en décembre 1960, et les premières chansons bouclées avec George Martin dans les studios d’Abbey Road, à Londres. Entretemps, le groupe a multiplié les séjours fondateurs à Hambourg et bâti la légende de la Cavern à Liverpool: le 3 août 1963, en pleine Beatlemania, il y donne son ultime gig après pratiquement 300 performances au même endroit…

Manille

4 juillet 1966. Le groupe boucle 2 représentations devant un total de 80 000 fans au Rizai Memorial Football Stadium de Manille, aux Philippines. En déclinant l’invitation d’Imelda Marcos – femme du dictateur en place -, Brian Epstein déclenche la fureur des autorités et de la population. A l’aéroport, l’homme de confiance du groupe, Mal Evans, est violemment frappé, les musiciens, privés de toute sécurité, houspillés et insultés par la foule, Epstein, rançonné. Cette débâcle sera pour beaucoup dans la décision d’arrêter les tournées…

Inde

Après une première session de méditation transcendantale au Pays de Galles en août 1967, les Beatles re- joignent Maharishi Mahesh Yogi, en Inde, en février 1968. Le séjour à Rishikesh, porte de l’Himalaya, tourne court lorsque (le) Yogi est accusé de  » gestes discourtois » envers certaines participantes au séminaire. Avec sa verve habituelle, Lennon le confronte sans ménagement et écrit le crissant Sexy Sadie. Par après, les accusations seront tempérées, les intentions prêtées au méditateur n’ayant jamais été véritablement prouvées…

San Francisco

29 août 1966. Ultime concert public devant 25 000 fans au Candlestick Park de San Francisco. Contrairement à la précédente, cette tournée-ci n’est pas intégralement hystérique: en scène, le groupe ne joue aucun titre de son tout nouveau Revolver et la presse américaine crucifie Lennon pour sa remarque assénant que les Beatles  » sont plus populaires que Jésus ». Les Beatles referont une seule apparition live, le 30 janvier 1969, sur le toit du QG d’Apple, à Saville Row. Scène d’anthologie visible dans le film Let It Be sorti en 1970.

Hambourg

Entre l’été 1960 et la nouvelle année 1962, les novices de Liverpool se métamorphosent en jouant des concerts marathons dans les clubs salés d’Hambourg. Les amphétamines, l’alcool et les filles pas farouches , l’incandescence du rock, construisent la Beatlemania qui va dévorer les années 60. Aujourd’hui, un Musée installé sur la fameuse Reeperbahn de tous les exploits Fab Four, restitue un peu de cette fièvre rock d’avant le marketing sage de Brian Epstein.

Août 1960, les Beatles arrivent à Hambourg. John Lennon, Paul McCartney, George Harrison – encore mineur – et les 2 prétendants que l’histoire va débarquer de la future postérité: Stu Sutcliffe et Pete Best. Tous viennent de Liverpool, une ville ouvrière durablement blessée par la guerre. La bande des 5 déboule pour un contrat à l’Indra Club, boîte sans gloire à 200 mètres de la Reeperbahn. Celle-là est l’avenue de tous les péchés: marins, maquereaux et filles de nuit y cuisinent tous les plaisirs frauduleux. Le sexe y est une transaction banale, pas seulement un rêve de papier pour teenager anglais frustré. Ce n’est pas à Liverpool que Lennon aurait pu partager sa testostérone dans les toilettes d’un club avec une fille de passage, avant de se précipiter sur scène, coiffé d’un dessus de chiottes… Les Beatles découvrent que la promiscuité est aussi dans les 2 minuscules chambres qu’ils partagent: 20 mètres carrés sans fenêtres, de l’autre côté de l’écran de projection du Bambi Cinema. Juste à côté de toilettes pour spectateurs téméraires. Le groupe, qui au début s’appelle encore Silver Beatles, comprend qu’Hambourg est une cliente vorace et qu’il va falloir satisfaire ses gloutonneries. Le patron de l’Indra beugle  » Mach schau » ( bougez votre cul), les spectateurs se saoulent dans un mélange gluant de bière et de rock. Chaque soir, les Beatles doivent assumer 4 heures et demie de musique, 6 heures les week-ends: ces sets interminables sont autant de plongées dans l’histoire qui se déroule au même moment de l’autre Côté de l’Atlantique. Chuck Berry, Elvis, Bill Haley, Little Richard, innovent avec une colossale fureur de vivre. Les Beatles en extraient la matrice fondatrice d’un style qui accouche là, sans péridurale, dans les saillies chaudes d’Hambourg. En jouant des nuits entières, pour la première fois sur des sonos qui permettent aux harmonies vocales d’exister, Lennon et les autres malaxent le rock’n’roll graisseux et dé- couvrent qu’une chanson, c’est bien plus qu’une bluette sur les filles et les bagnoles… Après l’Indra où ils se produisent 48 nuits consécutives (…), les Beatles migrent au Kaiserkeller voisin pour 50 autres nocturnes râpeuses, les doigts traquant les cordes jusqu’à l’orgasme électrique. Entretemps, le patron de l’Indra, furieux de les voir décamper, balance George Harrison à la police: mineur non autorisé à jouer dans les bars, il est aussitôt déporté en Angleterre. Par mesure de rétorsion, Pete Best et McCartney mettent le feu à un préservatif accroché au mur de leur chambre du Bambi Kino: les flics leur font suivre le même chemin que George… Armés des outrances des nuits allemandes, les Beatles re- viennent triompher à la Cavern de Liverpool. S’ils repartent pour une seconde fournée à Hambourg au printemps 1961, ce n’est pas seulement parce qu’on leur offre un travail de mieux en mieux payé. Ils y ont rencontré un groupe de jeunes gens qui tranchent sur leur audience jouissive de marins/maquerelles. Voilà une bande, plutôt arty et middle class, qui se donne le titre d’Exis(tentialistes): Astrid Kirchherr et ses 2 copains Klaus Voormann et Jürgen Vollmer font la bringue avec les Beatles mais les ouvrent aussi à la lecture et aux enjeux de l’art. Kirchherr, qui rencontre les Beatles en 1960 au Kaiserkeller, va beaucoup compter. Photographe talentueuse, elle ne se contente pas de les saisir dans leur prime jeunesse – visages sans blessures et cuir tendre -, elle pénètre aussi leur psyché. Ses portraits noir et blanc semblent annoncer ce qu’ils vont devenir. C’est particulièrement vrai pour John dont le caractère tumultueux prend, dans les images d’Astrid, une autre dimension, comme nimbé d’un Saint-Suaire chargé au 220 v. Et puis, il y a Stu Sutcliffe, sorte de Brad Pitt/Johnny Depp avant la lettre. Son beau visage à peine sorti de l’adolescence annonce des promesses de glamour et peut-être même de célébrité. Il n’en sera rien, Sutcliffe quitte la basse et le groupe pour épouser Kirchherr et décède, abruptement, d’un accident cérébral le 10 avril 1962. Cette première tragédie – 5 ans avant la mort par overdose du manager Brian Epstein – va agir à la manière d’un talisman noir. Et donner un autre sens à l’entreprise musicale du quatuor désormais complété par Ringo Starr, qui chipe la place de Pete Best à l’été 1962. Les temps ont changé: Astrid fournit au groupe des amphétamines pour tenir le coup, Lennon & C° carburent au Preludin pour étreindre les nuits interminables. Entretemps, les Beatles ont finalement signé un contrat discographique avec EMI, le 4 juin 1962: il est aussi décisif dans leur parcours que celui conclu avec Epstein fin janvier (1). Cette année-là, le groupe va jouer au Star Club d’Hambourg à 3 reprises pour une septantaine de concerts qui se terminent en apothéose à la nouvelle année 1962-1963. Cette époque qui se clôt ne sera jamais oubliée par les Beatles qui, de différentes manières, resteront fidèles aux amitiés hambourgeoises. Klaus Voormann, artiste-musicien, jouera avec Lennon, Harrison et Starr sur leurs échappées solos, dessinera des pochettes pour eux. Les photographies de Vollmer ressurgiront sur la pochette du Rock’n’Roll de Lennon en 1975. Et le travail d’Astrid se prolongera avec les Beatles tout au long des sixties, ombre discrète dépositaire de moments fondateurs.

Samedi soir 2009, Hambourg

Août 2009. Quarante-neuf ans ont passé depuis les premières nuits rouges des Beatles à Hambourg. La Reeperbahn, centre nerveux de la vie crue des sixties, s’est disneylandisée: entre un Lidl et un magasin d’électronique, des clubs de strip-tease chassent le gogo. L’eros center ressemble à un Carrefour du gode et du latex. Au milieu de ce décor mi-glauque, mi-kitsch, s’est installé le Musée Beatlemania, ouvert fin mai grâce à la contribution de l’industrie du disque allemande qui a flambé 2 millions et demi d’euros pour installer 5 étages de beatleseries en tous genres. Sympa et soigné, le musée restaure l’intégralité du parcours des Fab Four, mais le plus intéressant tient évidemment dans la rétrospective des années à Hambourg. Un plus pour la reconstitution d’une chambre de fan des Beatles et les autres artefacts – amplis, instruments, consoles de mix – qui montrent le côté primitif des moyens techniques alors mis en £uvre pour faire des disques et des concerts. C’est d’autant plus fascinant que la musique des Beatles a conservé toute sa force, sa fraîcheur, son tonus, son astuce aussi. Quand on sort du Musée et qu’on remonte la Reeperbahn vers la foire de St. Pauli -elle existe à cet endroit depuis la fin du 19ieme s -, on ne peut s’empêcher de penser que les Beatles ont dû croiser les mêmes manèges. Les mêmes odeurs de gaufre et d’urine qui, le soir, rassemblent étudiants, noceurs, touristes, petits ou grands voyous, dans le même trip illusoire de la nuit. Un peu étourdi, on se dit que ce serait drôlement bien que les Beatles reviennent ici, que John et les autres arrosent tout cela de leur rock inoxydable. Ce rock qui ne veut même pas vieillir…

(1) Epstein avait convaincu l’Allemand Bert Kaempfert d’abandonner les droits du contrat de production signé entre ce dernier et les Beatles en 1961.

Infos sur le Musée Beatlemania: www.beatlemania-hamburg.com

Texte Philippe Cornet, à Hambourg.

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