L’ACTEUR AMÉRICAIN INCARNE PIER PAOLO PASOLINI TOUT EN SOBRE INTENSITÉ POUR LA CAMÉRA DE ABEL FERRARA. UNE COMPOSITION TRANSCENDANT LE MIMÉTISME POUR TOUCHER À L’ESSENCE DU POÈTE…

Willem Dafoe en Pier Paolo Pasolini, il y a là comme une évidence, qu’un seul plan du film d’Abel Ferrara (lire son interview page 28) suffit à imposer. Et l’on ne parle pas uniquement, en l’occurrence, d’un mimétisme dépassant les lunettes à monture noire, et dont l’acteur s’amuse d’ailleurs –« On me dit que je lui ressemble, mais c’est un masque, derrière lequel je disparais », mais aussi de la sobre intensité avec laquelle il absorbe les différentes facettes du poète. Un défi comme Dafoe les apprécie, lui qui fut notamment le Jésus de The Last Temptation of Christ, ou le Max Schreck de Shadow of the Vampire, à quoi s’ajoute une galerie de personnages de fiction aux profils aiguisés, allant du Bobby Peru de Wild at Heart au He de Antichrist; du Green Goblin de Spider-Man au Jopling cartoonesque de The Grand Budapest Hotel, et l’on en passe.

L’aventure est son territoire, en effet. Et Dafoe n’a cessé, depuis qu’on le découvrit dans Heaven’s Gate, de Michael Cimino, à l’aube des années 80, de mettre en pratique un précepte qu’il formulait en marge de John Carter: « Etre acteur, c’est comme être un pèlerin, on voyage, on apprend des choses, c’est enrichissant. » Et le comédien de voir du « pays », évoluant entre théâtre et cinéma, ou encore de productions indépendantes en blockbusters (« Ce n’est pas tant la taille du projet qui importe que le fait qu’il s’agisse d’un film personnel »), tout en se frottant aux univers les plus singuliers. Une disposition qui l’a vu tailler sa filmographie aux côtés des William Friedkin, John Waters, Martin Scorsese, David Cronenberg, Lars von Trier ou autre Wes Anderson -liste non exhaustive.

L’enfer merveilleux de Ferrara

Abel Ferrara est de ceux-là également, et Pasolini constitue le quatrième volet d’une collaboration entamée en 1998 par New Rose Hotel, et poursuivie ensuite de Go Go Tales en 4: 44 Last Day on Earth. « Abel est un cinéaste sous-estimé, aux Etats-Unis en particulier. Mais si vous regardez en arrière, vous verrez combien il a fait de bons films, et l’influence qu’il a exercée sur bon nombre de réalisateurs. C’est quelqu’un qui comprend le cinéma et aime faire des films. Certains sont meilleurs que d’autres, mais il y a toujours quelque chose à en retirer. » Dafoe y a aussi trouvé matière à assouvir son goût de l’imprévu, lui qui confiait, sortant de 4: 44, combien un tournage du réalisateur new-yorkais pouvait se révéler chaotique, évoquant un « enfer merveilleux ».

Une époque à ranger, à l’en croire, au rayon des souvenirs, au même titre que les démons du réalisateur de Bad Lieutenant. « Abel est beaucoup plus clair, discipliné et concentré depuis qu’il a rompu avec ses mauvaises habitudes. C’est un Abel nouveau, et il est plus digne de confiance: quand il menait une existence borderline, il n’était pas rare, lorsqu’il tentait de faire aboutir un projet, de le voir proposer simultanément le même rôle à trois ou quatre acteurs, n’importe qui susceptible de lui permettre de réunir son financement. » Confronté à ce cas de figure, Willem Dafoe opposera un refus. Et si le film se fera néanmoins, il préfère en taire le nom, –« par respect pour mes collègues », sourit-il, et sans doute aussi pour Ferrara. « Abel ne fonctionne définitivement pas comme quelqu’un de l’industrie. Il fait ses films avec sa propre salive et sa propre sueur. »

Son Pasolini témoigne, en tout état de cause, d’un net regain de forme, hommage trouvant la distance appropriée pour appréhender l’homme et sa pensée. « Il y avait un risque à nous voir, deux Américains, tourner un film sur une figure tellement italienne. Mais de mon point de vue, n’avoir pas baigné dans un environnement précis et devoir l’approcher et l’acquérir, peut être le gage d’une plus grande fraîcheur. Certains éléments ne sont pas donnés pour acquis, et l’on est fort d’une plus grande liberté, avec la possibilité d’y voir plus clair que lorsque le sujet ressort de son identité-même. » Et d’évoquer un travail de recherche qui l’a vu ajouter à sa connaissance préalable de l’oeuvre pasolinien une somme de matériel biographique et critique. « Pasolini avait une personnalité intensément inspirante, souligne-t-il. Il avait une préscience de ce vers quoi allait la société, et sa parole reste toujours pertinente aujourd’hui. » Entendre son interview à Furio Colombo, c’est d’ailleurs s’en convaincre, l’acteur saluant « le poète, iconoclaste par sa pensée, et engagé politiquement comme peu d’artistes le sont. »

Si Pasolini semble ainsi se soustraire au temps, Willem Dafoe poursuit pour sa part une route sinueuse, qui l’a vu encore, ces derniers mois, faire le grand écart entre John Wick, nanar certifié, et The Fault in Our Stars, succès surprise au box-office; l’un des films qui ont fait de Shailene Woodley une star. Soit des fortunes diverses, dont il a pris l’habitude de ne pas se formaliser outre mesure: « On fait un film dans lequel on croit, en espérant que le résultat sera à la hauteur, et que le public répondra présent. Mais ce qu’il advient des films n’est pas de notre ressort, nous acteurs. Je suis parfois surpris, et ce n’est pas seulement une question de qualité, mais aussi de timing… A titre personnel, je veille à toujours réinventer mon processus de travail et à être flexible. » De fait, son credo tient en une petite phrase: « Je reste curieux… »

TEXTE Jean-François Pluijgers

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