Grande gueule, Kanye West entend faire bouger les lignes du hip-hop. Rappel des faits avant son concert à Forest et un nouvel album.

C’est peut-être l’une des dernières stars pop, dans une époque qui en produit de moins en moins. Une preuve parmi d’autres: alors qu’Internet a fait imploser l’industrie musicale, Kanye West est arrivé à vendre en une semaine près d’un million de copies de son troisième album Graduation… Sûr qu’un jour, il restera enfermé dans son Neverland à lui, ou qu’il aura changé de nom trois fois. Pour l’instant, Kanye West est encore parmi nous, juste sûr de lui, voire arrogant; hyperactif, voire boulimique.

Pas une semaine ne passe sans que le rappeur ne fasse parler de lui. Un an à peine après Graduation, il s’apprête ainsi à sortir 808s and Heartbreak, attendu pour ce 21 novembre, jour de son concert à Forest National. Il en a déjà dévoilé deux morceaux, Heartless et Love Lockdown. Un dernier titre parfait mais qui le voit glisser de registre, passant sa voix au vocoder, sur une trame minimaliste: un beat sourd, un piano et des percus tribales sur le refrain. Pas sûr qu’il en vendra autant que ses singles précédents. C’est là tout le paradoxe du bonhomme: entre pop et hip-hop, calcul commercial et accès de spontanéité.

Déjà quand il a voulu se lancer dans le rap, on l’a regardé de travers. C’était en 2002. A l’époque, Kanye West avait réussi, à force d’obstination, à imposer ses beats et ses samples. Il a produit ainsi pour Jay Z un tiers de son Blueprint, album essentiel du rap des années 2000. De là à lui-même se jeter à l’eau, et prendre le micro, il n’y a qu’un pas… que ses pulls en v et ses chaussures italiennes ne facilitent pas. Trop clean, pas assez « racaille », le Kanye. L’époque est aux Eminem,50 Cent, et autre The Game, dont une bonne partie du crédit se calcule au nombre de balles reçues dans le buffet. Jay Z au Time, en 2005:  » On a tous grandi dans la rue à devoir faire toutes les sortes de choses qu’il faut faire pour s’en sortir. Et puis, il y avait Kanye, qui à ma connaissance n’a pas dû galérer une seule fois dans sa vie. Je ne voyais pas comment cela allait pouvoir marcher. »

Panache

Né à Atlanta en 1977, il est âgé de 3 ans quand ses parents divorcent. Son père, Ray West, un ancien Black Panther, quitte le domicile familial. Kanye est donc principalement élevé par sa mère Donda, qui obtient un poste de prof d’anglais à la Chicago State University. Ils déménagent à South Shore, enclave middle-class dans le sud de la ville, où a également grandi Michelle Obama, la nouvelle First Lady. Ce n’est pas Beverly Hills, mais ce n’est pas non plus le Bronx, encore moins South Central. Le parcours scolaire du jeune West se déroule par ailleurs sans trop d’accroc. Jusqu’au supérieur. Là, Kanye coince, n’ayant plus en tête que la musique, et le rap en particulier.

Un soir, exténué par les heures passées en studio, il s’endort au volant et crashe sa voiture. Miraculé, il s’en sort avec une mâchoire fracturée. Trois semaines plus tard, les mandibules toujours endolories, il rentre en studio et rappe entre les dents Through The Fire. Le titre fait un carton, et convainc les pontes de Roc-A-Fella, le label de Jay Z, de donner une chance à West. Grand bien leur prit. The College Dropout, son premier album sorti en 2004, se vendra à près de 8 millions d’exemplaires .  » La mort est ce qui peut arriver de mieux à un rappeur. Mais passer à deux doigts n’est pas mal non plus« , ironise West.

Est-ce aussi dans cette « seconde vie » qu’il faut chercher la raison de son incessante fuite en avant, comme s’il n’avait plus de temps à perdre? Le rappeur donne en effet l’impression de ne jamais s’arrêter. Typique de la génération Internet 2.0, il fait tout le temps trois choses en même temps. Entre deux billets sur son blog – alimenté quasi quotidiennement avec des sujets musique, design, architecture, mais aussi… des photos de pin-up -, il s’implique dans le projet d’un « Muppet Show hip- hop », publie un livre de « kanye-isms » (une collection de mantras maisons, intitulée Thank You And You’re Welcome) pendant que la chaîne HBO planche sur un show de téléréalité autour de son trépidant quotidien. Dans le même temps, celui qui se fait aussi appeler Louis Vuitton Don annonce une ligne de vêtement, prévoit d’ouvrir une chaîne de fast-food, et lance une marque de bijou. Vous avez dit mégalo?

En janvier 2006, il fait la une du magazine Rolling Stone en Jésus Christ coiffé d’une couronne d’épines. Lors d’une grande émission de récolte de fonds pour les victimes de Katrina, il se fait remarquer en déclarant en direct:  » George Bush n’a rien à foutre des Noirs. » On le dit arrogant, mais à ce moment-là, cette grande gueule de Kanye West a la voix qui tremble… Il a également pris l’habitude de jouer les mauvais perdants. Comme quand, un verre dans le nez, il montera sur le podium des MTV Europe Awards 2006 pour réclamer le prix du meilleur clip décerné à Justice. Cela ne l’empêchera pas de prendre le numéro des réalisateurs français primés ce soir-là, et de collaborer plus tard avec eux. Ni de s’autoparodier à la faveur d’un sketch hilarant de l’émission Saturday Night Live, dans lequel il va jusqu’à contester la remise du prix Nobel de physique! Arrogant certes, mais pas sans humour…

Evidemment, West n’est pas dupe. Dans Touch The Sky, il rappe:  » J’essaie de corriger mes défauts, mais c’est amusant de voir que ce sont eux qui m’ont aidé à écrire cette chanson. » Tout cela n’est que du divertissement. Mais le rappeur veut y mettre les formes, bien décidé à faire sortir le hip-hop de ses clichés. A côté des échantillons grappillés dans la soul music, Kanye West sample donc les Doors, s’associe avec un producteur rock, pique des plans à Daft Punk ou pioche dans les expérimentations solo de Thom Yorke (Radiohead). On appelle ça un crossover. C’est à la fois génial, opportuniste, ambitieux, très 2008. Parfois facile aussi. Sauf que West n’oublie jamais d’y mettre du panache. Tant que ça dure…

Kanye West, 808s and Heartbreak, chez Universal. Sortie le 21/11, jour de son concert à Forest National, Bruxelles.

Texte Laurent Hoebrechts

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