SQUAREPUSHER COMPOSE POUR DES ANDROÏDES. APHEX TWIN SE FAIT FABRIQUER SES ROBOTS PAR UN BELGE. ET DES ENGINS VOLANTS RECRÉENT LA MUSIQUE DE JAMES BOND. L’AVENIR DE LA MUSIQUE?

Les rockeurs plus ou moins suants, ivres, (mal)adroits et fantasques seront-ils bientôt remplacés sur scène par la froideur désincarnée des robots? Chez les électroniciens de Warp en tout cas, on a un faible pour les cousins musiciens d’Astro, Nono, R2-D2 et C-3PO… Squarepusher -Tom Jenkinson pour les intimes- a sorti en avril dernier un EP (Music for Robots) enregistré par les androïdes de Z-Machines. Trois robots créés par l’ingénieur japonais Kenjiro Matsuo et son équipe. Dont un batteur à 22 bras et un guitariste à 78 doigts capable de jouer 1184 beats par minutes. Réflexion sur la musique du futur et le futur de la musique.

Qu’est-ce qui vous a poussé à travailler avec des robots?

Premièrement, il faut définir ce qu’on entend par robot. Il y a un bout de temps déjà que des machines sont impliquées dans la création de la musique. Des séquenceurs(1) notamment. Donc, il s’agit d’être clair. Dans le projet qui nous occupe, on parle d’appareils plus ou moins proches de l’être humain qui jouent de la musique avec des instruments conventionnels. Je n’ai pas collaboré à leur construction. Commissionné, je suis entré dans le projet après qu’il a été initié et je n’ai pas donné d’idées nouvelles quant à leur fabrication. Ils existaient et je n’ai rien à voir avec leur design. Mon intervention a été de composer et de jauger comment ils pouvaient, dans les faits, répondre à des instructions. Jusqu’à quel point, quel degré de précision, ils pouvaient traduire des informations en musique. Les Japonais m’ont fait parvenir des enregistrements de manière à ce que je puisse réaliser comment ils correspondaient aux données envoyées. On parle précision dans le timing, consistance des dynamiques -des trucs chiants d’ingénieur, en fait. Mais il est important de savoir ces choses pour envisager comment les compositions vont prendre vie. Quelle couleur ces outils vont leur imprimer. S’ils en amènent de nouvelles. S’ils déforment les morceaux d’une manière que le compositeur n’a pas envisagée.

Vous êtes un robot addict? Un technophile patenté?

Je perçois les robots différemment en fonction des contextes dans lesquels je les envisage. Vus sous un certain angle, ils sont les êtres terrestres vides d’un monde capitaliste où les gens sont remplacés par des machines et perdent leurs boulots par manque d’efficacité et de productivité face à ce que peut amener le »progrès ». Dans le processus industriel et la manufacture, ils posent de grandes questions sur notre responsabilité, sur ce qu’on fait de la technologie et sur notre place dans le monde.

Et dans l’univers de la musique?

J’en garde une opinion, ou du moins une vision, assez contrastée. Je ne sais pas trop ce qui se fait d’autre dans le genre. Je ne suis certainement pas là pour démontrer que les robots sont brillants ou prouver qu’ils sont essentiels et constituent une amélioration notable pour nos sociétés: je leur préfère nettement les êtres vivants. Mais je pense que, quelque part, ils illustrent des tendances humaines. Je ne prétends pas qu’ils incarnent un remplacement valable à de vrais musiciens. C’est une investigation: voyons ce qu’ils sont capables de faire, entendons comment ils peuvent sonner. Si tu programmes pareils robots, peux-tu générer une réaction émotionnelle chez l’auditeur? Peuvent-ils lui faire ressentir quelque chose ou drainent-ils la musique? Peuvent-ils être un véhicule pour des compositions et permettre au créateur de toucher un public?

Vous tentez de comparer le robot à un musicien de chair et d’os?

L’idée qu’on a traditionnellement de la musique est liée à des attributs humains. La plupart des évaluations et des adjectifs utilisés dans la critique musicale servent initialement à décrire le comportement. Est-ce qu’un robot peut être agressif ou arrogant? Il me semble intéressant de voir si on peut sentir l’homme en écoutant ces morceaux alors qu’ils sont joués par des machines n’ayant pas de sentiments et d’états d’âme.

Que reste-t-il de la prétention d’un solo de guitare par exemple?

Bonne question. J’en ai d’ailleurs prévu dans ces chansons. Toute l’idée du solo de gratte peut être considérée comme prétentieuse: un geste de pose, de pouvoir -des choses assez négatives en fait. Mais si un robot le joue, où est l’ego? En tout cas, il n’est plus dans le performer. On remonte alors au compositeur? Je ne sais pas. Mais c’est sain de se poser ces questions. C’est pour ça que j’ai sorti ce disque. Pour essayer de faire en sorte que les gens réfléchissent à ce genre de choses. Je ne veux pas prétendre que j’ai des réponses définitives à ces questions. J’aime ces compositions, sinon, je ne les aurais pas sorties. Mais plus que tout, c’est ce raisonnement qui m’intéresse: regarder le processus social qui découle de notre implication dans la musique.

On en serait à un tournant de l’Histoire?

L’idée populaire du robot repose sur une machine qui ressemble à l’homme. Un concept qui lui a donné vie dans la tête des gens. Mais des tâches musicales étaient déjà remplies par des robots dans mes projets précédents. Certes, avant, il s’agissait de sons joués par des mémoires électroniques et cette fois, ils sont interprétés par un dispositif mécanique. Pour tous les gens qui font de la musique électronique depuis des années, je ne sais pas s’il s’agit vraiment d’une révolution ou d’un changement radical. Qu’est-ce qui différencie par exemple un robot en train de jouer physiquement de la batterie d’une drum machine? Pour moi, pas grand-chose. Et peut-être même rien du tout. Le principal changement réside dans l’aspect visuel, à quoi ça ressemble. Plutôt que du matériel Apple, une grosse boîte, ou éventuellement les deux, ce sont des outils à forme humaine. Cela interroge la manière qu’ont les gens de consommer la musique et d’y répondre. Parce qu’ils l’écoutent autant avec les yeux qu’avec les oreilles. Ça questionne aussi l’échange: que perd-on si ce sont des machines plutôt que des êtres vivants qui jouent de la musique? C’est plus intéressant, à mes yeux, que l’aspect purement mécanique derrière ce disque.

On est comme Saint Thomas. On ne croit que ce que l’on voit…

Tu pourrais construire une drum machine avec un affichage et des indicateurs pour montrer et exemplifier ce qui se passe à l’intérieur de cette boîte. Peut-être n’est-ce pas intéressant pour certaines personnes? Mais quand tu vois, tu réfléchis davantage à ce que tu entends. Ce qui est intéressant avec les Z-Machines, c’est qu’ils jouent d’instruments physiques. Quand ils attaquent les cordes, il y a une consistance, une vélocité, une résonnance… Le son ne sort jamais à l’identique. Il est légèrement différent même si joué de manière automatique. Il y a plein de façons d’imiter l’activité physique du corps humain. La différence est parfois subtile. Je pense que j’aurais pu mener le même projet musical avec des synthés et des drum machines sans que personne ne note une quelconque différence.

Verra-t-on rapidement sur scène des musiciens entourés d’androïdes?

Je ne sais pas. Ils restent excessivement chers. Evidemment leur coût va descendre avec le progrès technique mais il diminuera en fonction de la demande. En existe-t-il seulement une? Ce n’est pas une manière très efficace et pratique de jouer de la musique. D’ailleurs, c’est l’un des trucs les plus ridicules de ce projet: les robots ont normalement déjà été démantibulés parce qu’il n’y avait pas assez d’argent pour financer leur maintenance.

Vous devriez peut-être annoncer leur décès? Beaucoup d’artistes rencontrent plus de succès après leur mort que de leur vivant…

Une bonne idée assurément et une autre source de questionnement…

(1) LE SÉQUENCEUR EST UN ÉQUIPEMENT PERMETTANT DE FAIRE JOUER AUTOMATIQUEMENT UN INSTRUMENT DE MUSIQUE ÉLECTRONIQUE. IL PEUT ÊTRE DE TYPE MATÉRIEL OU LOGICIEL.

TEXTE Julien Broquet

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