ILS SIGNENT DES DISQUES PLUS CINÉMATOGRAPHIQUES QUE DES BANDES ORIGINALES. TURZI ET CONDOR GRUPPE SERONT RESPECTIVEMENT À L’AFFICHE DU MICRO FESTIVAL ET DU PUKKELPOP. LEURS TÊTES PENSANTES RACONTENT LEUR RAPPORT AU 7E ART ET À SES MUSIQUES.

Après A et B, Turzi sortait il y a quelques mois C. C comme cygne, corbeau, cormoran, colombe… Les noms d’oiseaux dont il a affublé les neuf chansons de son troisième album. C aussi comme cinématographique. Qualificatif qui correspond plus que bien à l’univers de ce Versaillais d’origine qui a installé son studio au sous-sol de l’immeuble où vit Bernard Lavilliers. « Au risque de vous décevoir, je ne suis pas un grand cinéphile, confesse-t-il. Je ne vais jamais au cinéma. Et quand je regarde des films, j’en oublie les titres. Par contre, j’ai un faible pour les BO. L’image que je m’en fais, le fantasme qu’elles font naître, les sensations qu’elles me procurent… J’aime ces émotions créées par des ambiances et des atmosphères. »

Les bandes originales partent généralement d’une scène, d’un scénario. Turzi, lui, met sa musique au service de films imaginaires. « L’auditeur a tout le loisir de se raconter des histoires. D’y voir de la violence, des poursuites en voiture ou que sais-je encore. L’ambiguïté et le doute me séduisent. Comme cette liberté offerte à ceux qui écoutent et propre à leur ressenti.  »

Inquiétant, lugubre, nocturne, C évoque moins Lynch que Badalamenti. Un Angelo, écrivait-on à sa sortie, « qui sauterait d’un western à un polar, de Drive aux Brigades du Tigre, de la valse au hard, du slow au kraut, du rock psychédélique aux musiques électroniques… » Digestion plus que démonstration… Dans cet album, Turzi a mis toutes ces musiques qui lui plaisent et lui parlent. « Je travaille à côté. La musique ne me permet pas de vivre correctement mais je m’accroche depuis dix ans. Parce que j’en ai besoin et parce que ça me ressemble. Alors, je ne veux rien me refuser. Je vais aussi loin que je le peux dans mes fantasmes. A l’heure actuelle, les gens sont graphistes ou banquier le jour. Musicien ou travailleur sexuel la nuit… Il faut arrêter de tout cloisonner. On gagnera un peu de temps. »

A l’autre bout du fil, Romain est devant sa collection de disques. Bien en peine d’évaluer le nombre de soundtracks qui figurent dans ses étagères. « Je préfère consacrer mon argent à des instruments qu’à de la musique qui inconsciemment finit par teinter la mienne. J’ai environ 3000 albums. Mais je les classe par pays et par ordre chronologique. En BO, j’ai de l’allemand, du français, pas mal d’italien… J’ai effectivement beaucoup écouté Badalamenti que j’ai découvert tardivement. Et quand je vois un Morricone en farfouillant sur une brocante, je prends. Mais j’apprécie le méconnu, le délaissé, le sacrifié sur l’autel du mauvais goût. J’aime des trucs un peu vulgaires comme ZZ Top. »

Le Parisien, autodidacte, affirme également un penchant pour la musique d’illustration. « Ces trucs au kilomètre souvent composés pour trois francs six sous sont des points de départ intéressants. Notamment ceux qui datent de la fin des années 60 et des débuts de l’électronique. On peut chercher très loin mais je ne veux pas que l’obsession prenne le dessus sur ma musique. »

Romain s’est déjà frotté à l’exercice de la bande originale. C’était pour Low Life de Nicolas Klotz. Histoire d’amour entre Carmen et Hussain, jeune poète afghan, sur fond d’expulsion. Mais il a aussi connu une expérience plus malheureuse. « Un film de bagnoles. Le réal qui bossait dessus depuis cinq ans voulait du Patti Smith, du connu, mais il a déchanté quand on lui a donné les prix. Il m’a demandé de faire un truc qui ressemble. Et je lui ai pondu un bazar rien à voir avec des synthés. J’ai été débarqué… »

Amateur de peinture, d’architecture, de décloisonnement, Turzi n’a jamais été invité à jouer sa musique dans des festivals de cinéma mais il a déjà fait des DJ sets focalisés sur des BO. Eté invité à accompagner dans des ciné-concerts le Metropolis de Fritz Lang ou le Nosferatu de Murnau. « Une commande de la Cité de la musique à l’occasion d’un cycle Monstres et Vampires pour lequel Philip Glass avait travaillé sur Dracula. J’ai un peu flippé. Je n’avais jamais vu le film. Mais ça m’a offert davantage de liberté dans l’approche. Je venais de récupérer un synthé sampler avec lequel j’ai travaillé. Une claque énorme et une révolution pour moi. Les premiers pas dans la composition de C… » C’est pour Nosferatu que Turzi a ainsi écrit son premier slow. « Il paraît que ça nous va bien, sourit-il. J’ai toujours besoin de dangerosité, de nuit, de vitesse. A l’image de Coq qui doit beaucoup au Mother Sky de Can. Mais Colombe, c’est un thème de restaurant italien. D’ailleurs, entre nous, on l’appelle pizza. »

La musique de Condor Gruppe, supergroupe anversois emmené par Michiel Van Cleuvenbergen, doit davantage au spaghetti. Western vous l’aurez compris. Son premier album Latituds del Cavall y mêle surf-music, kraut rock et pas mal d’autres choses encore. « J’aime beaucoup le cinéma. Mais je ne suis pas à la pointe de l’actualité à me jeter sur le premier film qui sort en salles, avoue l’ancien membre de Dead Stop et de Creature With The Atom Brain à la terrasse d’un petit et typé nouveau café de Berchem. J’ai 35 ans. Je vais sur mes 36… Quand j’étais gamin, alors que j’habitais avec mon père, nous n’avions que deux ou trois chaînes de télé. Les westerns spaghetti sont l’un des plus amusants souvenirs que j’en ai gardés. J’en appréciais notamment la lenteur. La manière toute progressive de construire la tension. Je suis enseignant et j’ai un jour proposé à mes élèves de comparer le cinéma d’hier à celui d’aujourd’hui. J’ai pris l’intro d’Il était une fois dans l’ouest et je l’ai confrontée à celle de Saw. Les gamins ont trouvé ça horrible. Il y a beaucoup de mauvais westerns aussi bien sûr mais j’ai souvent été marqué par leur musique. Elles m’ont inspiré le côté héroïque de Condor Gruppe. Elles sont un appel à l’imagination. J’y ai recours quand j’écris des chansons et je veux que ce soit le cas des auditeurs quand ils les écoutent. »

« Les Italiens étaient plus cinglés »

Jan Wygers (Mauro & the Grooms, Creature With The Atom Brain), Milan Warmoeskerken (Flying Horseman, Mittland och Leo), Kris Torfs (White Circle Crime Club), Kris Delacourt (Monza, Crimpers). Aucun membre de Condor Gruppe n’a étudié le cinéma. « On est davantage inspiré par les musiques de films que par les films eux-mêmes. Dès le début, je savais que le projet serait instrumental. Quand tu as un groupe avec ses chansons et son chanteur, ils te dictent l’histoire. Ce que tu as à comprendre. Mais quand on parle de musique instrumentale, l’auditeur peut laisser son esprit divaguer. Ecrire sa propre histoire. En plus, je chante très mal. »

Les Indiens ne font pas des cowboys… Michiel a grandi dans un environnement plutôt musical. Son paternel possédait une belle petite collection de disques qui galopait du jazz à Dire Straits en passant par des BO de Morricone. « Tous les dimanches, il me réveillait avec la musique qui pétaradait dans la maison. Aujourd’hui, ma collection est bien plus grande que la sienne. Mais les nouvelles bandes originales, surtout hollywoodiennes, me parlent peu. » Celle d’Interstellar, par exemple, l’a interpelé. « Parce que très noire et sombre, elle est de Hans Zimmer qui d’habitude fait des trucs très bombastiques. » Comme il s’est laissé charmer par celle très jazzy de Birdman. Mais son truc à lui reste l’âge d’or. « Tout le monde connaît Morricone. Mais Bruno Nicolai a enregistré des trucs incroyables. Je dois avoir 60 ou 70 BO, pour la plupart italiennes. Elles sont plus folles, plus tordues. Notamment quand tu penses aux films de détectives et d’horreur des années 70 dont les bandes originales étaient plus excitantes que les longs métrages eux-mêmes. On y passait du jazz à la guitare fuzz en toute liberté. En France, un François de Roubaix était sombre et beau à la fois. Mais les Italiens étaient plus cinglés. Et comme je n’ai pas suivi d’enseignement musical, j’avoue que je fais parfois des trucs pas très conventionnels. »

Le morceau Ondt Blod de Condor Gruppe résonne comme un hommage à Alessandro Alessandroni. Le serial siffleur, ami d’enfance de Morricone… « Une amie réalisait un documentaire sur le dodo, l’oiseau disparu et elle m’a demandé de lui composer un air. C’était censé être pour des enfants. Donc, j’ai pensé à siffloter un truc. »

Jusqu’ici, l’Anversois n’a jamais composé pour le cinéma. « On nous a demandé si on pouvait employer ceci ou cela. Certaines de nos chansons ont été utilisées sur la télé nationale. Ce qui est parfois très bizarre. Notamment quand la séquence parle de la police. Mais on ne nous a jamais vraiment commissionnés. Ça me plairait bien. Surtout pour un road-movie. Ce serait plus facile je pense pour moi que d’écrire un album. J’ai composé une BO pour une pièce de théâtre. Un truc autour de Pocahontas sur lequel j’ai bossé avec ma petite amie. Ça offre beaucoup de possibilités. On peut utiliser un tas de sons. Recréer ceux de la nature… J’adore cette liberté. »

Dans les tuyaux

A l’ère du single tout-puissant et de la consommation jetable de la musique, sortir des disques aux ambiances cinématographiques fait presque office d’acte de résistance. Pas de quoi nourrir son homme. Comme Romain Turzi, Michiel Van Cleuvenbergen travaille. Il donne cours d’Histoire. Douze heures par semaine. Les lundis et mardis. « Il est compliqué de faire de la musique à plein temps. Faut payer les factures. Mais c’est une bonne combinaison pour moi. J’écris la plupart des chansons mais comme je collabore avec des musiciens fabuleux, je leur donne des démos assez rudimentaires sur lesquelles travailler. Je débute à la maison. Seul avec mon home computer. Généralement, je commence avec un sample de batterie extrait d’un disque de hip hop, de funk ou d’exotica et je me mets à jouer de la basse et d’autres choses dessus. Plein de mélodies se promènent dans ma tête. Et j’ai l’application dictaphone sur mon iPhone. »

Un deuxième album est d’ailleurs d’ores et déjà dans les tuyaux. « J’ai six démos pratiquement terminées. Un tas d’idées encore inabouties. Je pense qu’on va enregistrer en septembre ou octobre et essayer de sortir ça en mars prochain. Je viens de commencer à faire parvenir ces démos aux musiciens. L’été est toujours très chargé. On ne répète pratiquement jamais. Tout le monde a ses propres projets. Chacun m’enverra ses commentaires. Je changerai l’une ou l’autre chose. A mon avis, on va répéter une semaine et puis tout enregistrer. Ca s’était déjà passé comme ça avec le disque précédent. »

La suite des aventures s’annonce toujours aussi cinématographique. « Mais sans doute un peu plus orientale. Japonaise notamment. Le groove, la world music me parlent aussi. Ce sera un bon mix je pense entre des soundtracks et le reste de ma collection de disques. »

?TURZI, LE 08/08 AU MICRO (LIÈGE) ET LE 18/09 À LA MAISON DU PEUPLE DE SAINT-GILLES.

?CONDOR GRUPPE, LE 08/08 AU YELLOWSTOCK (GEEL), LE 20/08 AU ROCKERILL (CHARLEROI) ET LE 22/08 AU PUKKELPOP.

TEXTE Julien Broquet

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