ROCK’N’WARHOL – 20 ans après sa mort, le pape du pop art n’a pas encore livré tous ses secrets. Cécile Guilbert en exhume quelques-uns en prenant l’artiste au mot…

De Cécile Guilbert, éditions Grasset, 280 pages.

N’a-t-on pas déjà tout révélé, tout entendu, tout écrit sur Andy Warhol, l’artiste prophète mort il y a 20 ans? C’est ce qu’on se dit en déflorant le dernier livre de la romancière et essayiste Cécile Guilbert, Warhol Spirit. Très vite pourtant, on sent poindre un souffle, un regard original, une démarche artistique, loin des poncifs et de l’étalage gratuit de ses £uvres (on compte d’ailleurs les reproductions sur les doigts d’une main). En prenant le parti de traquer l’homme derrière ses mots plutôt que derrière ses images cultes et ses facéties mondaines, l’auteur non seulement évite l’écueil de la redite mais livre un portrait singulier et intime du génial jongleur d’images. Souvent copié, jamais égalé…

Coulé dans une esthétique pop mêlant avec brio textes et créations graphiques aux couleurs fondantes (orange, noir et blanc), cet atlas warholien écume les citations, les écrits et la correspondance du maître new-yorkais. Ce qui peut sembler incongru pour un homme d’image prend très vite des allures d’évidence: les tableaux dissimulent l’être comme un miroir sans tain quand les mots le révèlent par bribes. Cécile Guilbert ne se contente ainsi pas de les aligner comme des condamnés à mort devant le peloton d’exécution, elle s’en empare sans déférence pour les passer à la moulinette de sa perspicacité et de son érudition cabotine.

SECRETS BIEN GARDéS

Disparates, les 20 chapitres ne s’embarrassent pas de chronologie et encore moins de servir la… soupe. On joue à saute-mouton, glissant d’une énumération toute prévertienne des £uvres de Warhol et de Duchamp – manière originale de citer ses sources – au récit décoiffant et imaginaire de ce que serait devenu l’artiste aujourd’hui, entre enthousiasme goguenard pour la téléréalité et fascination réciproque pour Karl Lagerfeld.

Il en ressort un portrait étonnamment vivant de celui qui était à la fois écrivain, mannequin, plasticien, journaliste, cinéaste, provocateur, visionnaire, agitateur et surtout créateur de lui-même. Jusqu’à emporter dans sa tombe, pensait-on, ses petits secrets de fabrication en un ultime pied de nez. Et que ce texte, terriblement warholien dans son foisonnement, réussit en partie à exhumer.

En soulignant par exemple avec humour le désarroi de ses proches, incapables de cerner le vampire de l’art contemporain. Dans le chapitre Black War (Hole), on le qualifie ainsi tour à tour de « spectre », de « Peter Pan », on dit qu’il est « plein d’amour », ou au contraire « répugnant », on le voit « très catholique », voire « extrémiste »… La seule à l’avoir compris est peut-être sa muse Ultra Violet, pour qui « Andy était le trou noir dans l’espace ». Autrement dit, une énigme insondable sinon par la poésie. « So what? », aurait sans doute lâché le pape du pop art devant cet inventaire, lui qui aspirait au vide comme on aspire à la tranquillité.  » Plus vous regardez la même chose, plus elle perd sa signification, et plus vous vous sentez bien et vide« , confia-t-il à l’occasion.

Pour débusquer cette âme perdue dans un univers de signes, l’écrivain a dû explorer toutes les facettes du personnage. Tout y passe, sa généalogie, ses amours platoniques, sa foi… et ce fameux 3 juin 1968, jour de sa première mort quand Valérie Solanas, une de ses anciennes actrices et militante féministe, lui tire dessus. Sauvé in extremis, Warhol bascule dans le royaume des ombres.

Entre les lignes, les rapprochements et les jeux de typographie s’esquissent au final un Warhol opportuniste, cynique, superficiel, mondialisé… et génial.

LAURENT RAPHAëL

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