Les ambitions de Kevin Costner ont sombré dans le tournage chaotique d’un Waterworld trop cher et frappé par l’adversité, naturelle ou pas…

Et si on faisait un Mad Max sur l’eau? Avec l’océan pour désert, de la flotte en guise de bitume? Et en moins nihiliste, hein! Post-apocalyptique, d’accord, mais avec un message écolo positif. Pas mal comme idée, non? » Dans la déjà longue histoire des « pitchs » foireux, concepts de films habiles et simplistes paraissant garantir le succès mais menant à la déconfiture, celui de Waterworld mérite une place à part. D’abord, parce qu’il a « justifié » le film le plus coûteux jamais réalisé avant le Titanic de James Cameron (réalisé 2 ans plus tard). Ensuite, parce que son tournage vira rapidement au cauchemar absolu, bousculant le piédestal d’un Kevin Costner qui allait y perdre tout à la fois son meilleur complice créatif (le réalisateur Kevin Reynolds), sa crédibilité professionnelle alors présumée insubmersible et, last but not least, son épouse et 80 millions de dollars dans un des divorces les plus chers jamais prononcés. Tout ça pour un flop commercial de dimensions, seules les ventes de cassettes VHS et plus tard de DVD finissant par rembourser des coûts phénoménaux estimés à… 250 millions de dollars au total!

Bon, d’accord, le pitch ne semblait pas si mauvais, au départ. Le film australien saisissant de George Miller, Mad Max (1979), et ses suites hollywoodiennes avaient drôlement percuté. D’inconnu, Mel Gibson était devenu star, et le film de survie après une catastrophe planétaire semblait encore avoir de l’avenir. Star, Kevin Costner l’était déjà, lui. A tout juste 40 ans, le natif de Lynwood, Californie, était parvenu au sommet de sa popularité dans le public et de son pouvoir dans l’industrie cinématographique. Les cartons successifs de Dances With Wolves, Robin Hood: Prince Of Thieves, JFK et The Bodyguard, venant après ceux de The Untouchables et de Bull Durham, avaient propulsé Costner tout en haut de la « A-list » des vedettes pouvant assurer (ou presque) le succès d’un film.

Dans ces conditions, un salaire personnel de 14 millions de dollars pour Waterworld semblait tout sauf inacceptable. Et le budget de 100 millions de dollars alloué au film par Universal Pictures ne paraissait pas non plus démentiel. Le récit des aventures d’un mutant mi-humain, mi-amphibien, confronté à une Terre inondée par la fonte des glaces des pôles et où il ne resterait qu’une seule zone de sol émergé, promettait du grand spectacle. La présence de Dennis Hopper en gros méchant cartoonesque (1) devait y ajouter. Et celle de Kevin Reynolds derrière la caméra avait de quoi rassurer les investisseurs. Ami de Costner et réalisateur de 3 de ses films, « l’autre Kevin » avait été repéré par Steven Spielberg, dont la société Amblin avait produit Fandango, en 1985, première mise en scène de Reynolds avec Costner en tête de générique. Après deux nouvelles expériences en commun (le peu vu Rapa Nui et surtout le très vu Robin Hood: Prince Of Thieves ), la collaboration entre les deux hommes était au beau fixe, tout comme la météo sur Hawaï où allait débuter le tournage…

Avis de tempête

C’est donc dans l’océan Pacifique, à quelques encablures de la côte hawaïenne, que fut aménagée une « mer dans la mer », procédé auquel allait également recourir James Cameron pour Titanic. Des décors géants furent construits, à coups de millions de dollars. Kevin Costner était tout sourire, au premier jour du tournage, mais les problèmes n’allaient pas tarder à s’abattre sur lui et son équipe. Météorologiques, d’abord, avec des tempêtes homériques qui perturbèrent les transports autant que le filmage proprement dit. Une simple étude des conditions dans la région aurait appris à la production que la vitesse moyenne des vents y est de presque 70 km/h, ce qui ne pouvait que causer régulièrement des dégâts, et déplacer tout ce qui flottait et était nécessaire au tournage, suscitant des retards sans fin… Moins prévisible, le point culminant des assauts de la nature allait être atteint quand un ouragan envoya par le fond un décor flottant de 180 tonnes… qu’il fallut ensuite repêcher à grand péril et en partie rebâtir.

Au déchaînement des éléments s’ajoutèrent des défaillances humaines, la santé de certains interprètes et membres de l’équipe technique vacillant sous l’effet de la chaleur et de l’humidité. Les incidents se multiplièrent aussi. Le « double » de Costner pour de nombreuses scènes, le fameux surfeur Laird Hamilton, fut déclaré disparu en mer quand son jet ski tomba en panne d’essence, et ne dut son salut qu’au passage d’un avion des gardes-côtes qui le repéra au milieu de l’océan. Norman Howell, le coordinateur des cascades, fut victime d’un problème de décompression durant le tournage d’une scène sous-marine, et dut être transporté, inconscient, dans un hélicoptère, vers un hôpital de Honolulu où on le « retapa » heureusement vite fait. Costner lui-même échappa à la mort quand, attaché au mât de son trimaran, il fut pris dans un « grain » qui faillit bien le noyer. On ne compta pas, au surplus, les membres de l’équipe victimes de piqûres de méduses urticantes… De quoi user le moral d’un personnel déjà irrité de constater qu’aucune toilette n’avait été prévue dans les décors pourtant énormes et lourds au total de 1000 tonnes, ni sur la trentaine de bateaux loués par la production. Il leur restait… l’eau (bonjour l’hygiène!) ou l’obligation de se faire transporter sur une barge tout près de la côte, où il y avait quelques WC portables…

Dégâts des eaux

Et comme si tout cela ne suffisait pas, les avis de tempête se multiplièrent aussi entre l’acteur vedette et son réalisateur, tandis que le tournage n’en finissait pas de se rallonger (jusqu’à durer près de 18 mois, en comptant les interruptions forcées). Aucun des deux hommes n’a voulu commenter avec précision les rumeurs qui cou-rurent dans la presse. Et on ignore toujours aujourd’hui si Reynolds a quitté le tournage avant la fin de son propre chef, où s’il y a été fermement invité par un Costner ayant – cela, c’est sûr – achevé la réalisation durant les toutes dernières semaines. On ajoutera au (sombre) tableau le rejet par Costner de la musique de Mark Isham (jugée « trop ethnique et glauque ») et l’appel à James Newton Howard pour tout refaire de zéro, et on en aura terminé des problèmes qui accablèrent la production du film.

Si l’état de Hawaï est sorti gagnant de l’expérience Waterworld, avec 35 millions de dollars de bonus dans ses caisses, on ne saurait désigner d’autres bénéficiaires au terme de cette aventure à rebondissements. La critique s’abattit sur le film, en le rebaptisant non sans humour vachard Kevin’s Gate ou Fishstar en référence aux flops spectaculaires de Heaven’s Gate et Ishtar. Echec commercial, assurément, du moins en regard de son coût hallucinant, le film n’en a pas moins, au bout du compte, remboursé ses investisseurs, grâce surtout au marché vidéo. Mais les dégâts pour la réputation de Kevin Costner allaient être importants, très importants. L’étoile de l’acteur le plus populaire de sa génération allait pâlir pour ne plus reprendre de couleur que très sporadiquement. Sa vie personnelle n’échappant pas au naufrage, comme l’explique notre encadré… Quand on pense que pas moins de 6 scénaristes furent employés pour écrire les 36 versions du script,… et qu’aucun n’a su imaginer ce qui allait suivre!

(1) Un rôle (sagement) refusé par Gene Hackman, Gary Oldman, James Caan, Lawrence Fishburne et Gary Busey…

Texte Louis Danvers; L.D.

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Partner Content