POUR LEUR ÉDITION 2013, LES LONDONIENS SONY WORLD PHOTOGRAPHY AWARDS EXPOSENT LES TENDANCES ÉCLECTIQUES DE LA PHOTO CONTEMPORAINE: PRÉSENCE RENFORCÉE DE LA COULEUR, CAPTURE DES GUERRES ET DU TERRORISME ET… IRRUPTION GALLINACÉE EN PROVENANCE DE SINGAPOUR.

La première nous regarde droit dans les yeux, poitrine bombée sous l’effet du bizarre pas de danse quasi militaire, tout en chorégraphie nord-coréenne théâtralisée. La deuxième a une coiffure blanche neige survoltée, genre chapka de chez Harrodsou pastiche de Noël,possiblement empruntée à Disney On Ice. La troisième est un troisième: mâle, il s’avance vers l’objectif, fier comme un coq. Au sens propre, puisque ces images et d’autres, prises par Ernest Goh, constituent le meilleur de la basse-cour 2013. Un alignement de poules et de leurs maris, face caméra, éclairés et cadrés très soigneusement, d’où ces détails de plumes volages, de crêtes rouges de plaisir et d’abdomens pansus, rendant ces Gallus Gallus Domesticus à la fois dignes et parfaitement ridicules. Comme l’espèce humaine, quoi. La démarche s’englobe dans un projet baptisé The Animal Book explorant, de fait, les relations entre l’animal et son maître, leurs similitudes et parentés physiques. On connaissait le mimétisme banalisé entre le chien et son propriétaire: Goh prend l’angle de la poule ou même du poisson d’aquarium. Seuls les bestiaux de la première catégorie sont exposés à Londres où le citoyen de Singapour a concouru dans l’une des quinze catégories professionnelles des Sony Awards. Bizarrement, il ne décroche pas le prix Nature & Wildlife, pas plus que le Brésilien Hudson Garcia, à peine moins épatant dans ses rendus de grenouilles acrobatiques. C’est le Japonais Satoru Kondo, dont les représentations de plantes délavées à la Bilitis font un chouia bailler, qui remporte la timbale. Les mauvaises langues -dont nous sommes- diront que la décision est plaisante pour l’organisateur du raout, Monsieur Sony, nippon comme on le sait(1).

United Colors Of

Rayon statistiques, deux chiffres. Celui de la sélection faite en amont, d’abord: « 122 000 images en provenance de 170 pays. » Celui de notre impression, ensuite: sur les quinze catégories de la compétition professionnelle, dix victoires sont accordées à la couleur pour cinq au noir et blanc. C’est la leçon de L’Iris d’or, la Palme d’ordes Sony Awards, décerné à la talentueuse Norvégienne Andrea Gjestvang (lire par ailleurs): elle a photographié les survivants de la fusillade commise en juillet 2011 par Anders Behring Breivik dans un camp de jeunes militants de gauche près d’Oslo. Soixante-neuf morts et plus de 200 blessés, dont beaucoup resteront mutilés. Le drame, l’atrocité, la fêlure ont longtemps été conjugués en noir et blanc, exclusivement et bien après l’invention technique de la pellicule couleur. C’est fini. Aujourd’hui, démesure, dépression, sauvagerie, inégalités et fuites barbares des sociétés économiquement développées ou non affichent des tons multiples, nuancés, clinquants ou pas, couleurs! Les images de la Syrie de l’Italien Fabio Bucciarelli, prises à Alep, en témoignent. Comme celles de l’Américain Pete Muller, saisissant le goût douteux de ses compatriotes pour les armes létales, y compris les mitraillettes qu’on laisse décharger à des gamins dans un coin d’Oklahoma… Souvent, la palette de couleurs dédramatise, arrondit, humanise, donne une dose supplémentaire à un contexte qui, en noir et blanc, filerait vers le tout-tragique. C’est le cas d’une très belle série de l’Indien Danish Siddiqui, catégorie Arts & Culture, parti photographier la renaissance des cinémas à Kaboul, considérés par les talibans comme des remparts impies. Là, dans l’intimité souvent décatie de la projection, Siddiqui saisit la force de résistance de la culture, son importance, son plaisir, sa pérennité. Et on est sûr que bientôt, il y aura même des femmes dans les cinés afghans (…). La couleur n’est pas en soi un gage d’uniformisation formelle: une autre Italienne -Alice Pavesi Fiori- capte des gens qui attendent (un bus, la fin d’une pause, le docteur) dans des pastels qui sont tout sauf éclatants. C’est bien connu: ce qui nous sauve de l’ennui se trouve dans l’inattendu et les SWPA en donnent deux beaux exemples. L’Américaine Scout Tufankjian parvient, malgré tout le cadenassage promo, à saisir en 2006-2008 des images du candidat Barack Obama qui semblent authentiquement spontanées, comme celle de ce type qui soulève le futur président dans un bar. L’autre coup de coeur vient du vainqueur de la catégorie Current Affairs, le Russe Ilya Pitalev: en photographiant le quotidien de la Corée du Nord, il glane des indices humains -l’ennui, le désir, l’instinct grégaire- dans ce qui évoque malgré tout un vaste théâtre dictatorial à ciel ouvert.

Cinq étoiles

Attention, malgré les apparences, les SWPA sont d’abord une affaire de positionnement commercial (lire par ailleurs) plutôt que de purisme photographique, même si l’excellence n’échappe pas à la sélection 2013. On n’est pas ici dans la célébration et la jouissance photographique en roue libre organisée, comme aux Rencontres d’Arles, mais davantage dans une mise en scène plutôt policée des tendances actuelles. Avec une vision assez anglo-saxonne de l’image, neuf des douze jurés étant anglais ou américains, et le sentiment que la crise économique a légèrement réduit la voilure de l’événement. Les SWPA ont quitté Cannes après quatre éditions, s’installant à Londres en 2011, à la Somerset House. Cet ancien palace de la période Tudor accueille l’affaire: non plus dans la vaste salle des deux années précédentes, côté Tamise, mais dans une série de pièces de petite et moyenne superficie, côté cour. Moins adéquates au recul et à l’air nécessaires à l’absorption du medium de la photo moderne. Autre indice: alors qu’aux premières éditions de Cannes, on pouvait rencontrer et interviewer sur place de véritables starsdu genre telles que Martin Parr, Nan Goldin ou Elliott Erwitt, à Londres 2013, pas un seul nom connu n’apparaît. William Eggleston, formidable pionnier américain de la couleur (lire par ailleurs), affublé à l’édition 2013 d’un Outstanding Contribution To Photography Award, ne s’est d’ailleurs pas déplacé pour l’occasion. La glamourisation et le people n’étant pas notre fonds de commerce, on ne va pas en faire une crise de nerfs. Pourtant, en parcourant l’expo, on se dit que l’ampleur mise dans le retentissement médiatique -les 150 journalistes et plus dont celui de Focus sont logés dans un dispendieux 5 étoiles- devrait aussi profiter à certains photographes talentueux. Le Danois Jens Juul et ses terrifiants portraits de largués sociaux, le Russe Ilya Pitalev et ses chorégraphies nord-coréennes, sans oublier la Norvégienne Andrea Gjestvang, lauréate de l’Iris d’or, devraient bénéficier duseul luxe véritable: plus d’espace d’exposition et plus d’images, simplement parce qu’il est impossible de jauger un travail sur une ou deux photos. Encore moins d’en jouir. D’autant que les deux semaines d’ouverture au public de l’expo -du 26 avril au 12 mai- semblent bien maigres pour un événement qui ambitionne un réel impact international. A l’année prochaine, après un petit lifting?

JUSQU’AU 12 MAI À LA SOMERSET HOUSE À LONDRES, WWW.WORLDPHOTO.ORG/2013EXHIBITION

(1) SONY SPONSORISE L’ÉVÉNEMENT OFFICIELLEMENT ORGANISÉ PAR LA WORLD PHOTOGRAPHY ORGANISATION QUI ÉDITE AUSSI UN BOUQUIN DE CHAQUE ÉDITION, WWW.WORLDPHOTO.ORG

TEXTE PHILIPPE CORNET, À LONDRES

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