Guy Verstraeten
Guy Verstraeten Journaliste télé

20.35 ARTE

DE GENE BROCKHOFF.

Deux petites minutes suffisent au Canadien Gene Brockhoff pour planter sa dynamique. Face caméra, la sociologue Juliet B. Schor se met à lire un passage de son ouvrage The Overspent American: Why we want what we don’t need: aussitôt, les mots de l’écrivaine, dits à la vitesse de l’éclair et appuyés par une musique de cirque, passent en off, laissant l’écran au défilement fou d’une cascade d’objets généralement disponibles, de la cave au grenier, dans les foyers moyens américains. Le montage est brutal, sec, inarrêtable. Et gardera le cap tout au long de ce documentaire dont l’approche formelle se révèle, au final, aussi édifiante que paradoxale. De fait, sur le fond du problème, rien de bien révolutionnaire à signaler: l’Homo Erectus occidental n’a souvent d’yeux que pour la consommation comme moteur du bonheur. Difficile de ne pas se reconnaître, au moins en partie, dans le portrait de cette « culture de l’avoir », balayés que nous sommes par les déferlantes de messages publicitaires et d’incitants totalitaires à l’accumulation. Pas bien… Certes, et le rappeler ne peut certainement pas faire de mal: bien sûr qu’il faudrait ralentir, bosser moins pour profiter des vraies valeurs de la vie, regoûter aux joies d’un parfum de fleur, etc. Clair. Et pour ceux qui n’auraient pas encore eu la chance de visionner des films sur les manipulations mentales entreprises par le monde publicitaire pour nous aliéner au mieux, Vivez, consommez, prospérez devrait, dans son approche des mécanismes neuropsychologiques chers aux messages commerciaux, remettre un peu de raison dans ce monde de dupes. ça, c’est pour le fond.

JUSQU’à LA NAUSéE

Sur la forme, l’essai de Gene Brockhoff pose question. Et ressemble furieusement à ces films ultra-violents dont l’alibi n’est autre que… la dénonciation de la violence et de la fascination qu’elle exerce sur les spectateurs. Quand il fait tourbillonner jusqu’à la nausée les images d’archive et les contrepoints illustratifs, comme si le propos des intervenants méritait systématiquement l’appui d’un document visuel pour exister vraiment, on se demande si l’auteur n’est pas pris à son propre piège. Abuser du montage-engrenage comme métaphore de la fuite en avant à laquelle se livre la société de consommation pourrait frustrer ces téléspectateurs en recherche, justement, d’un peu temps et de tranquillité pour réfléchir au pamphlet qu’on leur sert. Les spécialistes interrogés, gonflés par moments aux inévitables micro-trottoirs, sont si nombreux que leurs 20 secondes d’intervention se noient régulièrement dans le fourre-tout d’images proposé par Brockhoff. Le processus se retourne alors contre son auteur qui, pour passionner, décide d’utiliser les techniques qu’il dénonce. A ce bémol près, ce documentaire, présenté dans le cadre d’un Thema Je consomme, donc je suis, pose évidemment les bonnes questions, méritant qu’on s’y attarde. l

Guy Verstraeten

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