Viva Last Blues

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Sous la carapace de la nostalgie, le Norvégien virtuose Erik Fosnes Hansen hante la coulisse d’une Europe niant son propre engloutissement.

 » La vie est ainsi faite que dès lors qu’on sait quelque chose, on le sait et on ne peut pas cesser de le savoir simplement parce que ces connaissances ne vous font pas du bien. » Le deuxième roman d’Erik Fosnes Hansen, Cantique pour la fin du voyage, s’attachait aux musiciens du Titanic. Ici encore, le chef orchestre une partition aux résonances tragiques. Dans une Norvège où tout part à vau-l’eau, ce roman d’initiation grand style attend son heure au fond de l’aquarium. Orphelin de quatorze ans cultivé et très réfléchi pour son âge, Sedd grandit dans l’hôtel de haute montagne tenu par ses grands-parents.  » Le cristal scintillait, l’acajou verni brillait, le parquet craquait exagérément. » Tout est encore comme dans le bon vieux temps, celui où l’on faisait les choses avec style -tout pour le client!- mais quand même, depuis les cimes élevées du plus haut standing,  » pas si simple d’être spécialiste en poissons et fruits de mer dans la montagne. » En 1982, les Kaiserschmarrn, Marillenknödel, Millirahmstrudel, chefs-d’oeuvre de pâtisserie viennoise, ne suffisent plus à faire la réputation d’un établissement qui croule sous les taxes patronales, sans oublier la TVA mais aussi les mensualités du prêt majoré consenti par la banque. Quand le client se fait plus rare et les impôts nombreux, le faste d’autrefois plonge dans la plus grande déconfiture.  » C’est fatigant d’être directeur d’hôtel, c’est sûr. Rien n’est aussi sûr. »

Viva Last Blues

The Grand Fåvnesheim Hotel

Oui, les temps ne sont plus ce qu’ils étaient – » time they are a-changin », dit la chanson- et si ce roman raffiné se permet le lustre d’antan, c’est pour donner le change, à l’instar de ses personnages. Rester debout pour sauver les apparences, se cacher sous des carapaces, une accumulation de façades, jusqu’à la chute précipitée du château de cartes, quand chacun, inexorablement, dévoile sa main.  » Comme tout le monde le sait, les pilotes-suicides japonais étaient d’une politesse extrême et ils avaient des nerfs d’acier. » Derrière le décor minutieux compulsé avec un soin de philatéliste, chaque porte des 132 chambres semble cacher un terrible secret.  » Life is like a box of chocolate, you know »: comme une fenêtre de calendrier de l’Avent que l’on a ouverte trop tôt, on aura beau s’évertuer à la refermer pour que personne ne remarque rien, on l’a vu: plusieurs contiennent une liqueur un peu sure. Chassant le petit gibier des souvenirs, maître de ses effets, pince-sans-rire dans la nostalgie flamboyante, Erik Fosnes Hansen appuie là où ça fait mal. La minutie maniaque du démiurge fait penser à l’orfèvrerie d’un Wes Anderson (The Grand Budapest Hotel, La Vie aquatique) avant que l’emballement narratif d’un grand final échevelé vienne filer des frissons de quasi-épouvante… C’est mauvais signe quand tout est vide, les pensées, les chambres. « Tout le homard doit être vivant quand on le fait cuire. (…) il cessa d’agiter ses antennes, et stoïquement, sans un son, droit dans ses bottes, il alla à la rencontre de la mort. » Sehr schön.

Une vie de homard

D’Erik Fosnes Hansen, traduit du norvégien par Hélène Hervieu, éditions Gallimard, 464 pages.

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