DE LENS À BILBAO EN PASSANT PAR LE CENTQUATRE, PASSAGE DE L’EFFET CULTURE SUR LA CITÉ ET LES QUARTIERS RÉPUTÉS DIFFICILES.

« Inauguré le 4 décembre 2012, le Louvre-Lens vient de franchir le cap symbolique du million de visiteurs, ce mercredi 29 janvier 2014 vers 11 h 30.  » Il y a quelques jours, ce communiqué officiel donnait même le prénom de l’heureuse millionnaire (symbolique): « Josiane, 67 ans, native de Lille et installée à Antibes depuis 40 ans.  » Le Louvre-Lens, c’est une success story à la française, plutôt inattendue. Parce qu’implanter un Louvre bis dans la « ville la plus pauvre de France » n’était pas une affaire gagnée d’avance. Agglomération d’un demi-million de personnes dans le Pas-de-Calais, Lens est une sorte de Charleroi nordiste a priori peu équipée pour recevoir la grande culture, voire la culture tout court. Pauvreté économique, mais aussi taux extrêmement faible d’alphabétisation et de diplômés dans une zone de sols pollués par une très longue industrialisation aujourd’hui rayée de la carte. Y concevoir un parc de 20 hectares et un bâtiment ultra-contemporain dessiné par un bureau japonais -on se croirait à Brasilia- avec des collections racontant six millénaires d’art sur 7000 mètres carrés, le pari était moins fou que strictement préparé. Comme nous l’expliquait en mai dernier le directeur du lieu, Xavier Dectot: « La commande du Louvre-Lens est politique: elle veut utiliser le musée comme facteur de redynamisation d’un territoire très marqué par la grande Histoire industrielle.  » Huit ans se passent néanmoins entre la décision de construire, en 2004, et l’inauguration il y a maintenant quatorze mois. L’investissement n’est pas seulement financier -à hauteur de 150 millions d’euros…- mais aussi humain. Dectot: « Beaucoup de Lensois étaient persuadés que le Louvre était destiné aux Parisiens ou aux habitants de Lille qui n’est qu’à 40 kilomètres, ou alors pensaient que c’était réservé à la génération suivante. On a donc travaillé en profondeur la population locale, en installant une Maison des Projets sur le terrain du futur musée et en envoyant des médiateurs partout, dans les bars comme dans les écoles, expliquer le sens de ce que nous faisions. Les gens pensaient également que l’effet économique serait similaire à l’installation du Guggenheim à Bilbao: ils allaient être rapidement plus prospères qu’au Lichtenstein (sourire).  »

Le Guggenheim de Bilbao, inauguré en 1997, conçu par l’architecte-star Gehry -et ses célèbres corolles psychédéliques- est de fait un succès: un peu plus d’un million de visiteurs par an, dans une ville du Pays Basque espagnol peu attractive -on le sait, on y a passé une sinistre soirée au début des années 90. Le Guggenheim s’inscrit dans un plan de revitalisation urbaine démarré en 1989, Bilbao Ria 2000, chiffré à 735 millions d’euros, dont un dixième environ pour le seul fameux musée. Retour sur investissement: ce dernier aurait contribué à créer plus de 4500 emplois dans la région. Mais face à ces mammouths culturels, Louvre ou Guggenheim, qu’en est-il des plus modestes? On peut citer le CentQuatre, un établissement culturel ouvert en 2008 dans un quartier nord peu favorisé de Paris: des anciennes Pompes Funèbres d’une surface exploitable de 25 000 mètres carrés, impressionnante par son vaste hall central sous verrière. Là aussi, l’exploitation artistique qui pourrait être celle d’un Beaubourg bis intègre les habitants d’un quartier -Aubervilliers- longtemps en déshérence, mais également des commerces, des logements, des espaces de travail. Mais la mixité n’est jamais gagnée: malgré l’investissement de départ -100 millions quand même…- et une rente annuelle de 12 millions, les deux premières années furent jugées « catastrophiques » et les fruits actuels sont toujours lents à mûrir. En contemplant les sommes pharaoniques allouées à ces projets étrangers, on mesure aussi la modestie financière de Molenbeek 2014 -un million d’euros: c’est apparemment encore trop cher puisque les autorités concernées, la Fédération Wallonie-Bruxelles et la Cocof, ont décidé après trois métropoles (Liège 2010, La Louvière 2012, Molenbeek 2014) de jeter l’éponge. Ambitieuse Belgique…

PH.C.

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