À LORIENT, UN GROUPE DE FILLES TROMPE L’ENNUI EN NOURRISSANT DES RÊVES DE MATERNITÉ ET DE VIVRE ENSEMBLE. OU QUAND L’UTOPIE ADOLESCENTE BUTE SUR LA RUGOSITÉ DU RÉEL…

« Si on attendait d’avoir le droit pour tout, on ne ferait jamais rien. » Dans la bouche d’une ado bretonne en mal de repères, la phrase, et ses allures de vieux slogan soixante-huitard, cristallise à elle seule l’urgence tapissée d’ennui de cet âge que l’on dit volontiers ingrat. Une urgence, un ennui, qui sont peut-être à l’origine de cette étonnante baby boom story: en 2008, dans un même lycée de Gloucester, Massachussetts, 17 jeunes filles, liées, dit-on, par un pacte, se sont retrouvées enceintes. Fait divers peu ordinaire, on en conviendra, mais dont les racines pourraient bien puiser dans le plus ordinaire des quotidiens, justement. C’est en tout cas l’une des pistes retenues par les s£urs Coulin, Muriel et Delphine, au moment d’envisager l’écriture et la réalisation de leur 1er long métrage de fiction, librement inspiré des événements.

 » Il y avait évidemment le côté extraordinaire de l’histoire. Et le fait que ça croisait tous les thèmes qu’on avait déjà explorés dans nos courts métrages: le corps, la féminité, le temps, la désillusion. Ce qui nous a immédiatement parlé aussi, c’est que Gloucester se situe exactement en face de Lorient, où nous sommes nées et avons grandi. Deux villes à peu près de même taille, avec un port de pêche, un port de commerce et un port militaire, soit 3 activités qui sont en déclin depuis 50 ans. Et où les ados s’ennuient à mourir, tandis que les adultes leur rabâchent en permanence que les belles années sont passées. Du coup, il y a une espèce d’inertie, très difficile à vivre quand on a 17 ans. Tout ça fait que quand on a lu le fait divers, on a trouvé ça hyper étrange et en même temps on avait l’impression de pouvoir comprendre ces filles. »

L’appel du large

Et l’imaginaire de prendre le relais du réel pour donner vie à une brochette de personnages aux résonances authentiques, ados de Lorient décidant de tomber enceintes au même moment, avec le dessein d’élever bientôt leurs enfants ensemble, loin des modèles hérités de leurs parents.  » C’était plus pertinent pour nous d’inventer des filles vivant en Bretagne qui soient réalistes plutôt que de coller à des faits qui se sont déroulés aux Etats-Unis, où ils ont d’ailleurs été envisagés sous un angle puritain qui ne nous intéresse absolument pas. »

Ce qui intéresse plutôt les s£urs Coulin, à mille lieues de toute considération d’ordre moral, c’est cette tension, exacerbée à l’adolescence, entre, d’un côté, l’ennui, le dés£uvrement, et, de l’autre, le rêve, la soif d’absolu à même de germer sur ce terreau morose.  » Le détonateur tient dans ce tiraillement entre cette vie rectiligne, sans réelles perspectives, et cette conviction intime qu’il existe quelque chose d’autre de possible. Dans ce contexte, la maternité peut apparaître comme un changement accessible, une solution radicale, immédiate. A un âge, qui plus est, où les regards sur vous, et votre corps en particulier, changent totalement. C’est très violent pour une femme. Mais en même temps, le corps devient une arme, d’une certaine manière. Alors pourquoi ne pas s’en servir pour changer de vie, pour ne plus jamais être seule… »

Dans ce jeu de tensions nourrissant le film, Lorient s’impose peu à peu comme un personnage à part entière…  » Il y a un gouffre, en effet, entre la vie étriquée qu’on propose à ces filles et cet horizon géographique, celui de l’Atlantique, qu’on ne cesse de contempler, comme un appel permanent vers un ailleurs. Le film aurait pu s’appeler Paysage avec filles , parce qu’elles ne font pas ça là par hasard. Elles ne l’auraient pas fait si elles avaient habité New York, par exemple: il y aurait eu d’autres envies, d’autres ouvertures. »

Entre les corps et les lieux, la mise en scène déploie dès lors sa logique, ses codes…  » Quand on est ado, on est soit trop petit, soit trop grand. Du coup, on a beaucoup joué sur les effets d’échelle, pour créer du déséquilibre: des plans larges succèdent à des gros plans, des paysages réels succèdent à des paysages de peau. Tandis que des cadres fixes, fermés, appellent des ouvertures, de la profondeur de champ, pour renforcer le décalage entre le trop étriqué et le trop vaste. Il y avait aussi des couleurs interdites sur le tournage: le rouge, par exemple, était totalement proscrit. Comme les peaux sont naturellement pastel, il ne devait pas y avoir de choses criantes. On ne voulait absolument pas d’un truc pop, genre 17 filles à la plage. »

Horizon résolument grisaille, donc. Que les 17 nanas donnant son titre au premier long des s£urs Coulin n’arpentent pas moins avec un appétit de vie peu commun. A croire vraiment, et pour citer encore l’une des ados du film, qu' » on ne peut rien contre une fille qui rêve »… l

RENCONTRE NICOLAS CLÉMENT

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