De Li Kunwu et P. Ôtié, éditions Kana.

A cet âge-là, l’esprit est tendre et ce qu’on y imprime y reste pour longtemps. A tel point qu’aujourd’hui encore, 40 ans après, je peux chanter sans effort les dizaines de chansons que contenait mon Yu Lu .  » Le fameux « petit livre rouge » qui modèlera les pensées d’une génération d’enfants, cueillis dès l’école et embrigadés dans la grande famille du président Mao. Li Kunwu, aidé au scénario par l’occidental P. Ôtié, accouche de cette Vie chinoise – incroyablement prenante – dans la douleur. Car ce jeune garçon, endoctriné jusqu’à transpirer d’amour pour le Grand Timonier et le représenter sur des centaines de dessins de propagande, c’est lui, bien sûr. Mais aussi tous les enfants chinois nés dans les années 50, qui grandiront sous l’aile de Mao et de ses « pensées », délivrées au compte-gouttes aux masses laborieuses et parfois si complètement hermétiques qu’il faut bien une année entière pour les comprendre… jusqu’à la publication de la pensée suivante.

Cette passion pour le Timonier cache mal la terrible famine qui frappe les campagnes, ainsi que la violence physique et morale qui les habitent. Les jeunes « soldats » de la pensée unique en remontrent désormais à leurs aînés. Les hiérarchies sont abattues – du moins en apparence, comme avec ces « camarades officiers » qui, par égalitarisme, ne se distinguent plus des troufions par leurs galons… mais se rattrapent par le nombre de poches de leur veste.

La révolution supposément radieuse s’effondrera en une anarchie désespérée.  » Comme beaucoup, je ne comprenais plus rien à la tournure des événements. Personne n’était d’accord. Tout le monde était prêt à s’étriper pour des phrases éni-gmatiques, prononcées à des milliers de kilomètres de chez moi, par des gens que je ne connaissais pas et que le président Mao ne parvenait pas à faire taire. Les poings levés avaient laissé place aux couteaux de boucher, qui s’effaçaient désormais devant les fusils et les canons. L’anarchie devenait guerre civile. Je vis mes premiers cadavres, mes premiers éventrés, les viscères à l’air…  » Apothéose de ce premier volume: la mort de Mao, qui laisse ses millions de « croyants » orphelins et en déroute. Un récit suffocant.

V.D.

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