Une perle

Le Bruxellois Jean-Luc Cornette fait appel à Steinbeck pour se remettre au dessin. La fable cruelle de La Perle sied parfaitement à son graphisme atypique.

 » Dans la ville, on raconte l’histoire de la grosse perle. Comment elle fut trouvée et comment elle fut perdue. » Ainsi commençait le court roman de l’Américain John Steinbeck, publié en 1947. Le Belge Jean-Luc Cornette, lui, a au contraire choisi le silence comme incipit de son roman graphique: quatorze planches muettes pour entamer la tragédie de Kino le pêcheur, de sa femme Juana et de leur petit garçon Coyotito. Une prouesse qui en dit long sur la qualité et l’originalité de cette adaptation pourtant issue de la littérature, et sur les envies de dessin de ce scénariste prolixe.

Une perle, donc. Celle qui doit permettre à Kino de payer le docteur pour soigner Coyotito après sa piqûre de scorpion. Or celle qu’il est allé arracher à une huître est tellement grosse qu’elle pourrait, croit-il, changer leur vie.  » Mon fils ira à l’école. Il lira les livres. Il aura la connaissance des choses et on sera des hommes libres. Voilà ce que fera la perle. » Mais on n’échappe guère à son destin dans les romans de Steinbeck, même si celui-ci était atypique (il se situe quand même en Basse-Californie, mais prend la forme d’une fable historique plutôt que d’un drame social contemporain): cette perle les poussera au contraire vers la folie, la leur et celle des autres, et le pire des drames.

Une perle

Maturation et maturité

Adapter une fable sociale dont le pitch pourrait être que l’argent ne fait pas le bonheur, ce n’est évidemment pas innocent en ces temps de gilets jaunes et de crise du pouvoir d’achat. Or, si on savait le scénariste Jean-Luc Cornette capable du meilleur, baignant souvent dans l’art et la culture (les albums Frida Kahlo ou Klimt pour ne citer que les plus récents), c’est ici le dessinateur qui se révèle et se remarque: plus de dix ans qu’il avait laissé le crayon à d’autres après l’avoir déjà peu exploité. On mettra donc son talent graphique sur le double compte de la maturité et de la maturation. Ses dessins ont la même intensité que les mots de Steinbeck, avec un trait anguleux, aussi inconfortable que tendu, rehaussé par une palette de couleurs et un découpage strict de trois strips/cases par page, aussi saisissants que ses dessins. On se surprend, une fois les a priori passés, à plonger corps et âme dans ce récit simple et cruel, dont le seul défaut s’avère être sa lisibilité: cette Perle passe bien trop vite. Et donne surtout envie, d’abord de relire Steinbeck, autre exploit de cette adaptation pourtant avare en mots, ensuite de revoir Cornette suer sur d’autres planches et d’autres histoires, écrites ou non par lui.

La Perle

De Jean-Luc Cornette, adapté de John Steinbeck, éditions Futuropolis, 136 pages.

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