AVEC XENIA, PANOS KOUTRAS SIGNE UNE ÉQUIPÉEÉBOURIFFANTE DÉBORDANT D’ÉNERGIEADOLESCENTE, DOUBLÉE DU PORTRAIT EN CREUX DE LA GRÈCE EN CRISE. DÉCOIFFANT…

Panos Koutras semble sorti tout droit de l’un de ses films: un torrent d’exubérance et d’enthousiasme dont on se demande parfois comment il arrive à les canaliser. Découvert avec le siècle, L’attaque de la moussaka géante, son premier long métrage, lui avait valu ce que promettait son titre: un statut culte. Une quinzaine d’années plus tard, Xenia, son quatrième opus (il y a eu, entre-temps, Real Life et Strella), a les honneurs d’Un Certain Regard, petite soeur de la compétition cannoise, manière d’aboutissement provisoire. Son titre, le film l’emprunte au grec ancien –« Xenia est le terme qui désigne l’hospitalité envers l’étranger, rappelle-t-il dans un français impeccable, le fruit d’études parisiennes. Et dans les années 50-60, qui constituent la grande époque de la Grèce et des débuts du tourisme, une chaîne d’hôtels de luxe s’appelait Xenia. La plupart de ces établissements sont désormais à l’abandon, et nous avons d’ailleurs tourné certaines scènes dans l’un d’eux: l’enseigne Xenia que l’on peut voir est celle d’origine, restée là depuis les années 60. »

Le décor est saisissant, tout en offrant l’image éloquente du marasme économique, contexte sous-jacent mais néanmoins aveuglant d’un film relatant l’odyssée de deux frères albanais dans la Grèce d’aujourd’hui; une histoire aux enjeux et aux ramifications multiples. « Comme toujours dans mes films, plusieurs idées convergent. Comme je n’en fais qu’un tous les cinq ans, j’essaie de tout y mettre. Trois grandes lignes sous-tendent cette histoire: je voulais tourner mon « teenage film », parce que j’ai moi-même connu une adolescence très intense, dont je me souviens avec nostalgie. Je tenais ensuite à évoquer l’amour fraternel, une notion très marquante pour moi, pas seulement l’amour fraternel par le sang, mais aussi par amitié, avec les personnes que tu choisis comme âmes soeurs dans la vie. Et enfin, je voulais parler d’un problème prenant des proportions tragiques en Grèce, où s’applique le droit du sang et non le droit du sol. En conséquence, les enfants d’immigrés ne pourront jamais devenir grecs, même si, comme dans mon film, ils sont nés et ont été éduqués en Grèce. Du coup, ils restent dans un no man’s land d’identité… »

Fantaisie débridée

Ce qui, traduit à l’écran, donne un cocktail détonant, où l’équipée adolescente libère des déflagrations kitsch, tout en se doublant de la peinture à l’arrache d’une réalité suffocante dont le réalisateur souligne combien elle est devenue incontournable. « Ces deux héros immigrés sont les premiers ciblés par la montée du fascisme, au même titre que les gays, auxquels, étant gay moi-même, je peux m’identifier. Et prendre position. » Loin de plomber le propos, ce contexte dramatique inspire toutefois à Koutras un hybride stimulant, tout en fantaisie débridée. On n’est d’ailleurs guère plus surpris d’y voir déambuler un lapin en peluche géant que d’y croiser, excentricité parmi d’autres, la diva italienne Patty Pravo, à qui les protagonistes de Xenia vouent un culte fervent. Jusqu’au style du film qui se dérobe à toute tentative de classification, pour naviguer à vue entre comédie dramatique, fantastique, et musical, le temps de quelques chorégraphies joyeusement allumées. « A la base, je suis cinéphile. Si je devais choisir entre faire des films ou en regarder, peut-être que je pencherais pour la deuxième option, ce serait en tout cas moins fatigant. Le mélange des genres découle de mon amour fou du cinéma, c’est quelque chose de naturel pour moi. »

Panos Koutras refuse de voir dans la crise le facteur déclencheur de la nouvelle vague du cinéma grec, celle qui a révélé les Yorgos Lanthimos et autre Athina Rachel Tsangari. « La crise n’a fait qu’affirmer quelque chose qui était en train de se produire: tout est devenu plus aigu, il y avait une urgence plus grande à en parler, à faire quelque chose. Mais beaucoup d’éléments stimulent la création: le malheur a toujours encouragé le poète, mais je n’adhère pas au principe voulant que si on coupe son oreille, on deviendra Van Gogh. Il ne faut pas infliger de la souffrance pour que des artistes tournent des films: l’amour, le bonheur, tout peut inspirer. »Xenia en apporte la démonstration, cette nouvelle odyssée grecque se ponctuant sur une touche optimiste à sa manière. « Ciao, amore… »,comme dirait Patty Pravo…

RENCONTRE Jean-François Pluijgers, À Cannes

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