ACTEUR PROLIFIQUE, OLIVIER GOURMET POURSUIT UNE CARRIÈRE EXEMPLAIRE, MULTIPLIANT LES CHOIX ARTISTIQUEMENT FORTS ET SOCIALEMENT MARQUÉS. RENCONTRE À LA FAVEUR DE TERRE BATTUE, LE PREMIERLONG MÉTRAGE DE STÉPHANE DEMOUSTIER.

« En général, je pense que les réalisateurs parlent très bien eux-mêmes de leurs films, et souvent mieux que les acteurs. Et Stéphane Demoustier en est tout à fait capable. Mais ici, ça me fait plaisir: je trouve important de le faire parce qu’il s’agit d’un premier long métrage, et que ça peut l’aider. » Prélude à l’entretien, la réflexion suffit à poser Olivier Gourmet, un comédien dont Pierre Schoeller, réalisateur de L’Exercice de l’Etat, louait à juste titre la générosité, postulat valant à l’écran comme hors-champ. L’homme est prolifique aussi, lui qui vient d’aligner, sur les deux dernières années, une petite dizaine de films. Et puisqu’il n’a pas l’habitude de faire les choses à moitié, le voilà coup sur coup à l’affiche de deux sorties: LeTemps des aveux, qu’il a tourné au Cambodge avec Régis Wargnier (lire dans Focus du 16/01), et Terre battue, de Stéphane Demoustier (lire critique page 23).

Un produit du système

Inscrit dans le paysage du Nord de la France, ce dernier se focalise sur la relation entre un père, cadre de la grande distribution tentant de se refaire après avoir été licencié, et son fils, aspirant champion de tennis, l’un et l’autre flirtant bientôt avec la ligne rouge. Le contexte social est certes différent, le duo que composent Jérôme et Ugo n’est pourtant pas sans rappeler Roger et Igor, le père et le fils que campaient Olivier Gourmet et Jérémie Renier dans La Promesse, des frères Dardenne, le film qui les lançait il y aura bientôt 20 ans. Un rapprochement que l’acteur prend le temps de soupeser: « Il y a une grosse similitude, acquiesce-t-il, c’est qu’on est dans un système que Roger cautionnait sans vraiment le cautionner. Dans La Promesse, Roger créait son propre système d’ultra-libéralisme et de capitalisme sauvage, sans foi ni loi et sans honneur, où tout est permis, même tuer l’autre pour survivre soi-même, donc marche ou crève. Ici, Jérôme s’inscrit de fait dans cet ultra-libéralisme: il ne se pose pas en victime d’un système qu’il a cautionné et auquel il a participé, puisqu’il a dirigé plusieurs magasins et qu’il a dû, probablement, licencier des gens. Lorsqu’il perd lui-même son emploi, il l’accepte et rebondit en trouvant cela normal, et en voulant créer sa propre entreprise. En ce sens, il y a des similitudes. Mais sur le parallèle père-fils, c’est quand même différent: Roger était quelque part dépendant de son fils, et de l’amour que ce dernier lui portait, ce qui faisait l’humanité du personnage. Tandis qu’ici, s’il adore sans doute cet enfant, on sent que Jérôme a fait sa trajectoire tout seul, et même s’il a un regard sur ce que vit et est son fils, il est très fort tourné sur lui-même et sur son propre parcours à ce moment-là. »

Un pur produit, en somme, de cet ultra-libéralisme dont Terre battue démonte, l’air de rien, les mécanismes. A travers la réalité de ces deux personnages occupés à se (re)construire, Demoustier brosse un tableau pénétrant du culte de la réussite et de ses dérives, trouvant dans le sport la matière d’une métaphore féconde. « C’est cela, la force du film, opine Olivier Gourmet. Le sport est une métaphore violente de notre société par rapport à la concurrence et la nécessité de réussite. Le problème, aujourd’hui, c’est que pour exister aux yeux d’une société, il faut avoir réussi. Et avoir réussi, ce n’est pas mettre du pain et du beurre à table pour ses enfants et sa famille, c’est être le meilleur. On sent une exacerbation de la concurrence, jusqu’au sein des administrations, où on met des personnes en conflit pour les motiver. Ce qui devrait motiver les gens, c’est de s’épanouir dans leur travail, et non d’être le meilleur ou le plus rentable. L’ultra-concurrence ne sert absolument pas à l’humain au sein de l’entreprise; elle va servir au patron et aux actionnaires, pour gagner davantage, mais au détriment de l’homme. Il faut revenir à quelque chose de beaucoup plus humain, même si, et bien que n’étant absolument pas néo-libéral, je pense aussi qu’il y a un besoin urgent de responsabiliser les gens, et de ne pas toujours les assister (…). » Vaste débat, aux ramifications multiples et complexes.

Des émotions, et pas des héros

L’un des intérêts de Terre battue est aussi de procéder par petites touches, laissant le champ ouvert au spectateur pour y projeter ses réflexions. « Pour un premier long métrage, il y a une vraie justesse, une vraie sensibilité, avec plein de contrastes qui font la vie et les personnages intéressants. » On touche là, pour tout dire, à l’une des vertus cardinales d’un comédien qui semble avoir la vérité chevillée au corps, et cela qu’il incarne le menuisier du Fils,le forain abusif de Vénus noire ou le ministre speedé de L’Exercice de l’Etat. Cette qualité, Olivier Gourmet semble aujourd’hui la mettre toujours plus au service de projets à l’ancrage social marqué, de Grand Central à Terre battue, en passant par La Marche ou Deux jours, une nuit; on n’est pas le comédien fétiche des frères Dardenne pour rien, après tout. « Les histoires qui m’émeuvent sont celles de gens normaux, observe-t-il, même si la forme peut différer. Avec un film comme La Marche, par exemple, il y a la volonté, au départ, d’être plus grand public, avec un scénario monté de manière un peu plus spectaculaire. Si je devais réaliser un film, je serais probablement très radical. Ce qui ne m’empêche nullement d’apprécier d’autres choses en tant que spectateur. Je peux aller voir Matrix et m’amuser, heureusement. Mais on me proposerait de le faire, je ne suis pas sûr que j’accepterais. Me faire chier comme un rat mort, tout seul, sur un fond bleu, pendant six mois à faire des mouvements et à parler à un mur, je ne pense pas que cela m’amuserait comme comédien. Et en tout cas, cela ne m’émeut pas. Par contre, m’inscrire dans des scènes où il y a un véritable enjeu humain et où on peut jouer, vivre, ressentir les émotions comme dans la vie, cela m’amuse… A la lecture, je suis souvent sensible à tout ce qui est socialement concret. Ce qui me motive à me lever le matin, c’est d’aller jouer des émotions, et pas des héros. J’ai toujours eu besoin de ressentir les choses pour pouvoir les dire. »

Une disposition qui ne lui a pas trop mal réussi, si l’on en juge par un parcours qui l’a vu s’épanouir encore aux côtés des Chéreau, Audiard, Tavernier, Haneke, Costa-Gavras, Podalydès, Provost, Ursula Meier, et l’on en passe. Cela, tout en multipliant les projets « fragiles », et notamment ces premiers films qu’il enquille avec un appétit ne semblant jamais devoir se démentir. Une responsabilité? « Je n’aime pas le mot, qui peut paraître prétentieux, mais peut-être, inconsciemment: il faut veiller à ce que ce cinéma ait encore une chance d’exister. Financer ce genre de premiers films est de plus en plus difficile, et en un sens, il y a une responsabilité, en effet, à continuer à faire vivre ce cinéma-là. Mais de manière la plus sensible possible, et sans vouloir dire qu’il n’y a que ce cinéma-là de vrai. Il doit exister, parce qu’il est curieux, singulier, différent, il enrichit. On doit de plus en plus amener les gens à être curieux, et à être ouverts à la différence. Parce que la culture peut aider à l’ouverture d’esprit des gens dans la vie au quotidien, et dans la façon d’aborder son voisin. La culture constitue un vecteur formidable pour ça, tout comme l’éducation. » Un constat plus que jamais d’actualité…

ENTRETIEN Jean-François Pluijgers

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