De retour à Hollywood, Gus Van Sant signe une biographie inspirée de Harvey Milk, premier élu politique américain ouvertement homosexuel.

« Gus Van Sant est un réalisateur qui ne fait jamais de mauvais film. » Pour relever pratiquement de l’évidence, le constat, énoncé par Sean Penn à l’occasion de Milk, n’a cependant rien d’anodin. Depuis ses débuts et Mala Noche, il y a une vingtaine d’années, Gus Van Sant a tracé un sillon unique et sinueux dans le cinéma américain, s’imposant maître cinéaste indépendant à la faveur de My Own Private Idaho et autre Drug-store Cowboy, avant de faire du cinéma hollywoodien à sa main, de Good Will Hunting à Finding Forrester. A la même époque, il se risque à des aventures quasi-expérimentales – le remake plan pour plan de Psycho, l’aventure désertique de Gerry -, avant de donner sa pleine mesure de metteur en scène dans sa trilogie adolescente composée de Elephant, Last Days et Paranoid Park.

Cette dernière derrière lui, le voilà qui revient au cinéma hollywoodien à la faveur de Milk, un projet qu’il avait caressé il y a une dizaine d’années déjà. S’attelant au genre ultra-codé de la biographie, le cinéaste de Portland, Oregon, réussit, comme il l’a toujours fait, à lui imposer sa griffe. Au-delà même de sa portée, Milk n’est pas qu’un biopic de plus; c’est un pur film de Gus Van Sant, l’un des auteurs les plus inspirés de sa génération. Un Van Sant que l’on retrouvait dans d’excellentes dispositions dans un palace de la Cité des Anges, au lendemain de l’élection de Barack Obama à la présidence des Etats-Unis…

Vous aviez été associé à un projet de film sur Harvey Milk il y a une dizaine d’années. Pourquoi vous en être retiré à l’époque? Et pourquoi avoir considéré que le moment était mieux choisi aujourd’hui?

Ce premier projet n’a jamais réellement pris forme. Nous étions en désaccord sur la tournure du scénario, et les choses en sont restées là. Par chance, le script de Dustin Lance Black a fini par se présenter, à un moment où tourner cette histoire m’intéressait toujours.

Sur quoi portaient les désaccords?

Ils tenaient essentiellement aux parties de l’histoire que nous voulions raconter, et à la façon de les raconter. L’histoire d’Harvey Milk est vaste. On y croise des personnalités comme John Briggs, Anita Bryant, Dan White et bien sûr Milk lui-même, elle se déploie sur de nombreuses villes et Etats. Si l’on veut tout raconter, cela fait beau-coup trop: il faudrait raconter toute la vie d’Harvey, en dire suffisamment sur celle de Dan White pour comprendre certaines choses, raconter l’histoire du quartier de Castro… Cela fait tout simplement trop, et à l’époque, nous n’avons jamais eu un traitement qui nous permette de la raconter sans devenir fastidieux. Lance y est arrivé en concentrant son intérêt sur le politique, et en laissant les différentes histoires en découler. Non sans choisir, par exemple, de ne guère nous parler de son enfance ni de ses années d’école, ou encore de ses années new-yorkaises. Même si, des années 50 au début des années 70, beaucoup de choses intéressantes se sont passées dans la vie de Milk – il a, par exemple, été régisseur pour Hair, à New York.

Avez-vous des souvenirs personnels de l’impact qu’a eu son élection à l’époque, en 1977?

A l’époque, je vivais à Los Angeles, je n’étais pas vraiment conscient de ce qu’il était en train de faire à San Francisco. Plus tard, j’ai appris son assassinat dans un bulletin d’information. Je n’avais pas encore fait mon coming out, et je n’appartenais pas à la communauté homosexuelle. Je connaissais le quartier de Castro, mais j’ignorais tout du rôle qu’il y jouait.

A-t-il influencé votre coming out?

Sans doute, oui. Je suppose que toute cette histoire a contribué à ce que je le fasse, alors que j’avais une trentaine d’années.

Des acteurs gay, il n’y en a pas tellement. Et encore moins qui ont l’âge approprié et peuvent réunir des fonds sur leur nom. Si vous souhaitez tourner un film avec Alan Cumming dans le rôle d’Harvey Milk, rôle dans lequel je suis sûr qu’il excellerait, votre budget s’en verra automatiquement réduit. Or, une telle production requiert des fonds. On aurait pu faire un casting exclusivement gay, mais le film n’était pas conçu en ce sens. N’avoir que des acteurs homosexuels aurait été un choix stylistique, mais aussi politique. Nous ne l’avons jamais envisagé. Et le film n’a déjà pas été évident à monter avec la distribution que nous avons réunie.

Sean Penn est, en tout état de cause, exceptionnel dans ce rôle. Comment l’avez-vous dirigé?

Il faut être attentif, c’est tout. Sean Penn a apporté beaucoup à Harvey, il lui a donné vie, avec son art tout personnel. Nous avons veillé à vérifier ce qui fonctionnait ou pas, et si nous avions pris les bonnes déci-sions. Rien de bien compliqué, tout s’est fait simplement. Les réalisateurs sont souvent distraits par des tas de problèmes divers, et les acteurs ne sont jamais aussi bons que lorsqu’ils voient que vous faites attention à eux, plutôt qu’à l’éclairage, par exemple. J’y suis attentif.

Comment avez-vous établi l’articulation entre images d’archives et prises de vue réelles?

Nous avons eu recours à des images d’archives parce que le scénario faisait référence à une série de gens comme Anita Bryant (chanteuse américaine connue pour ses prises de position anti-homosexuelles, ndlr) pour lesquels nous avons préféré du matériel d’archives, plutôt que le tournage de nouvelles scènes. Lorsque nous nous sommes mis en quête de ces archives, nous en avons trouvé d’autres, qui ont rééquilibré certaines parties de l’histoire, et on a joué avec le tout au montage. Le look même du film s’en est trouvé grandement influencé. Nous avons à un moment pensé le tourner en 16 mm, mais le studio nous en a dissuadés, ils ont peur du 16 mm. Nous avons donc opté pour un 35 aussi fort granuleux, Harris Savides, le chef-opérateur, faisant en sorte que le rendu du film soit aussi voisin que possible des pellicules utilisées à l’époque pour filmer les informations. Au montage, on est arrivé à un accord, si pas définitif, qui correspondait en tout cas à notre volonté de voir les deux composantes du film se ressembler autant que possible.

Barack Obama vous apparaît-il comme un digne descendant d’Harvey Milk?

Obama est un descendant du type de politicien qu’était Harvey. Ce dernier défendait d’ailleurs un tas de sujets qui résonnent comme les idées d’un politicien moderne: dans ses interviews, il n’arrête pas de parler des soins de santé, de l’assistance aux personnes âgées, de l’éducation. L’élection d’Obama, c’est étonnant. Nous vivons une période pleine d’espoir.

Rencontre Jean-François Pluijgers, à Los Angeles

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