Tu aurais dû t’en aller

Un couple -et leur enfant-, hébété par les charges, les soucis, l’habitude, choisit de prendre l’air à la montagne. Ils louent une maison -grande, moderne, pratique- où lui, scénariste, compte bien pouvoir s’isoler et avancer sur la suite de son premier film à succès, pendant que Susanna, actrice à la quarantaine impitoyable et donc en attente d’improbables propositions, s’occupe d’Esther et de son monde, rehaussé de l’imaginaire que lui offrent ses quatre ans. Tandis que l’inspiration semble l’avoir quitté pour partir à l’assaut des sommets que son regard tutoie depuis le salon de ce refuge, celui qui n’a jamais osé affronter la montagne que représente pour lui le passage à la réalisation, est sujet à d’étranges rêves, des visions fugaces, des troubles de la perception visuelle… Perdrait-il la raison? Dans cette histoire fantastique à tout point de vue, plutôt une novella, Daniel Kehlmann donne encore la pleine mesure de son style nerveux, sans ambages mais plein de verve: en alternant récit du narrateur et extraits de son ébauche de scénario, le romancier confère un côté diffracté à la perte progressive de la réalité et de prise sur les événements qui, comme ce couple, s’étiolent, au glissement de terrain du réel dans une autre dimension, étrange et angoissante. Conte maléfique parfaitement maîtrisé, Tu aurais dû t’en aller est un récit au coeur duquel le lecteur ne peut s’empêcher de rester.

De Daniel Kehlmann, éditions Actes Sud, traduit de l’allemand par Juliette Aubert, 96 pages.

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