Philippe Cornet
Philippe Cornet Journaliste musique

La mélodie du futur – Passé quasi inaperçu, le huitième album de Tracy Chapman éveille la conscience sur ce qu’il faut préserver dans ce monde en déliquescence. Cinglant et sensuel.

« Our Bright Future »

Distribué par Warner.Le disque est paru à la fin de l’automne, un peu après que la chanteuse américaine est venue en concert solo au Palais des Beaux-Arts de Bruxelles. Et puis, l’album s’en est allé, avant même de vivre réellement sa vie. Signe d’époque où le trendy gère la médiatisation dans un bordel qui écrase à peu près tout ce qui ne se range pas dans des tiroirs préconçus. Et Chapman est loin des Habitat/Ikea de la consommation musicale en kit. Cette fille noire et folk – espèce rare – arrive en 1988 au moment même où le rock se conjugue surtout en coupe douteuse mullet (à la Bono) et autres coiffures musicales périssables: d’emblée, son premier album cartonne sur le tempo conscientisé de mélodies crève-c£ur. Propulsées par Live Aid – les rock stars sauvent le Tiers Monde… -, ses chansons Talkin’ Bout A Revolution ou Fast Cars s’avèrent terriblement radiophoniques, sans l’ombre d’une démagogie sonore ou idéologique. Juste belles et fortes. L’inconnue de Cleveland (Ohio) vend six millions d’exemplaires de ce premier album rien qu’aux Etats-Unis.

Vingt ans plus tard, Chapman sort son huitième album studio, toujours porté par une voix comme on n’en trouve plus que dans les sous-bois de l’inspiration et de la résistance. Un grain fructueux qui évente tout ce que l’on a connu jusque-là en matière folk – de Bob Dylan à Joni Mitchell – tout en s’identifiant d’emblée à la famille. On appelle cela une identité. Tracy pourrait lire les petites annonces du Vlan qu’elles sembleraient formidables de fulgurance littéraire. C’est dire son talent.

La foi des convictions

De fait, la quadra – née en mars 1964 – n’a rien abandonné de ses convictions. Celles-ci ont toutes le même canevas de base, terrien, humaniste, accroché à la combinaison voix/guitare acoustique, les autres instruments venant joindre la fête à l’occasion dans la délicate production cosignée par Larry Klein. De cette configuration proche du minimalisme, Tracy fabrique parfois de grandes chansons. Ici, il y en a bien trois ou quatre. Cinglantes et sensuelles sans que leur auteur ne concède rien à l’artificiel.

Dans l’écho de Sing For You ou du magnifique Spring de conclusion, on retrouve celui du néo-folk actuel – d’Alela Diane à Rachael Yagamata – mais la maîtrise est clairement du coté de Tracy. Sa façon de laisser glisser son éducation vocale sur un orgue gras, ses accords mineurs faits pour la lumière, ses préoccupations sociétales et familiales, sa présence proche du minerai folk, tout cela donne de la densité, du plaisir, du sens. Les textes ajoutent encore au sauf-conduit de sympathie que l’on éprouve naturellement à l’écoute de Notre brillant futur. Sous couvert d’analyse de la déliquescence du monde actuel, ce disque nous dit simplement combien certaines choses sont à préserver. La générosité, l’eau, l’environnement et la musique. Ajoutez-y Tracy Chapman et le compte est bon.

www.tracychapman.com

Philippe Cornet

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