En long et au large – Conrad ouvre un nouveau cycle de sa Tigresse blanche. Rencontre avec cet amoureux des séries à rallonge, de l’Asie… et des charnières.

Par Conrad et Wilbur, chez Dargaud.

Lorsque les histoires qui sortent de ses doigts s’étalent sur un ou deux volumes, vous pouvez parier qu’il s’agit d’une série avortée.  » J’aime les longueurs, confie Didier Conrad. C’est pourquoi j’ai toujours préféré les séries télévisées aux films: quand j’étais gosse, je pleurais toujours au moment du générique de fin! Pour me plaire, il faut qu’une histoire dure plusieurs années, avec une pointe de mystère. Comme Dexter. Ou Twin Peaks. »

De fait, Conrad est un dessinateur au long cours. Les Innommables (sur scénario de Yann, dès 1980 dans Spirou) opèrent sur 12 volumes,  » et il reste de la place: quelques années en blanc, entre 1946 et 1949, que je pourrais explorer« . Ou Tigresse Blanche, sorte de spin-off de la série précitée, initiée avec Yann et continuée avec Wilbur (pseudonyme de Sophie Commenge, épouse de Didier Conrad), dont le premier cycle comptait cinq tomes. Le second vient de démarrer en beauté:  » Nous prévoyons six ou sept épisodes. L’Asie post-Seconde Guerre mondiale est une période charnière, un aspect très intéressant à exploiter.  »

Pourquoi cet amour de l’Extrême-Orient?  » Un concours de circonstances. Lorsque, avec Les Innommables, nous avons été censurés, Yann et moi avons choisi Hong-Kong un peu par hasard pour relancer la série. Mais quand on commence à se documenter, on est aspiré par le sujet. » Un amour des charnières qui se retrouve dans les deux tomes de Raj, dessinés dans le style de la « ligne claire » – alors que Conrad revendique son héritage « franquinien » – et situés dans l’Inde britannique, avec ses rivalités entre colons de la première heure, bien intégrés, et nouveaux arrivants avides de richesse.

Rêve américain… ou cauchemar?

Conrad vit aux Etats-Unis, près de Los Angeles, depuis une douzaine d’années. Là aussi, les charnières sont de rigueur:  » Je suis arrivé à la fin de l’époque Clinton, les salaires étaient très élevés. Puis j’ai connu l’éclatement de la bulle Internet, le scandale Lewinsky, les mandats de George W. Bush.« L’homme est appelé par les studios Dreamworks pour bosser sur La Route d’Eldorado. Les deux volumes du Piège Malais, mais surtout sa série Donito, qui a marqué son grand retour dans Spirou, ont tapé dans l’£il des chasseurs de talents de Spielberg.  » Si vous observez la biographie des dessinateurs, vous trouverez fréquemment, au moment d’une paternité par exemple, la naissance d’une série pour enfants. Je venais d’avoir ma fille… »

Dreamworks l’engage pour trois ans. Il restera 15 mois.  » En 1996, l’industrie de l’animation était en plein boom. Au fil des années cependant, le travail est devenu dingue. J’en suis sorti vidé. Il m’a fallu plusieurs mois pour reprendre la BD. Ceci dit, ce break m’a fait du bien. »

En 12 ans de States, l’homme n’a-t-il jamais été tenté de se lancer dans un projet plus… moderne?  » Le contemporain me gêne. J’envisage de dessiner quelque chose dans ce goût, mais j’ai un blocage. » Comme cela arrive souvent, Conrad parvient néanmoins à parler du monde actuel avec ses histoires du passé. Dans le 2e tome de Raj, on retrouve ainsi les Thugs, ces adorateurs-étrangleurs fanatiques de la déesse Kali.  » Il y a un parallèle étourdissant avec les terroristes que combattent aujourd’hui les Etats-Unis en instaurant un système judiciaire d’exception, en isolant les suspects, en les assimilant à toute une communauté« , indiquait déjà, fin 2007, le bédéiste à un quotidien français.

web.mac.com/conrad.tigresse

Vincent Degrez

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