La 59e Berlinale a montré le 7e Art sous un jour inquiet, s’interrogeant sur la mondialisation et ses effets, comme sur les déflagrations passées et en cours…

Tilda Swinton l’a précisé lors de la cérémonie de clôture: beaucoup d’£uvres soumises à l’appréciation du jury qu’elle présidait avaient pour objet de mieux interpréter et comprendre les enjeux de notre époque. Postulat qui s’est d’ailleurs vérifié au gré de l’ensemble des sections d’une Berlinale ayant confirmé là son statut de plus politique des grands festivals internationaux de cinéma: plus que jamais peut-être, le 7e Art y est apparu en prise sur un monde dont il appréhende les soubresauts avec inquiétude.

Perspective globale

De cela, on a eu l’illustration dès le film d’ouverture, The International, thriller se déroulant dans les sphères de la haute finance internationale, une institution bancaire y étant soupçonnée de financer le terrorisme à l’échelle planétaire. L’argent n’a pas plus d’odeur que de scrupules – constat résolument en phase avec l’actualité.

Perspective globale, donc, qui fut celle d’un nombre impressionnant de films. Philippe Lioret, dans le beau Welcome, s’interroge par exemple sur le sort des laissés-pour-compte que sont les innombrables réfugiés venant échouer à Calais, prêts à tout pour rejoindre un chimérique eldorado britannique. Sally Potter, dans une Rage fort esthétique, passe l’univers des défilés de mode new-yorkais au crible de la mondialisation. Lukas Moodysson, dans un Mammoth maladroit, confronte un wonder-boy à l’inanité d’une existence factice, pour le recentrer sur de vraies valeurs. Non sans, au passage, adopter la théorie du battement d’aile du papillon, connectant les individus les uns aux autres d’un bout à l’autre de la planète. Quant à Rachid Bouchareb, il place le propos de son London River dans le prolongement immédiat des attentats qui frappèrent Londres en juillet 2005. Pour, au-delà de la puissance dramatique intime de son sujet, tordre le cou à divers préjugés. Et aller chercher, dans des circonstances extrêmes, la matière à un rapprochement transcendant les différences, culturelles ou confessionnelles.

L’anxiété ambiante se traduit aussi par une propension à interroger l’histoire: c’est le cas de Theo Angelopoulos qui, dans The Dust of Time, embarque le spectateur dans une vaste réflexion couvrant plusieurs générations, pour déboucher sur un futur non moins nébuleux. C’est aussi celui de Claudia Llosa qui, à travers le destin de Fausta, confronte le Pérou à son passé récent dans La Teta Asustada. C’est encore celui de Stephen Daldry qui questionne mémoire et culpabilité dans The Reader

C’est, enfin, le lot de quantité de documentaires aux contours politiques affirmés. Eloquent, à cet égard, Rachel, de Simone Bitton qui, enquêtant sur la mort tragique de Rachel Corrie, une activiste pacifique américaine, dans la bande de Gaza, recadre la perception du spectateur – questionnant aussi la manipulation de l’information (sujet également au c£ur, quoique de façon détournée, du passionnant Defamation, de Yoav Shamir). L’un des films le plus impressionnants de cette Berlinale, The Shock Doctrine, de Michael Winterbottom et Mat Whitecross, se place, pour sa part, en terrain économique. Et retrace, dans la foulée des théories de Naomi Klein, l’avènement du capitalisme catastrophe, du Chili de Pinochet à la Grande-Bretagne de Thatcher, à l’exact opposé des théories confortables associant libéralisme friedmanien et démocratie. Instruction à charge, la démons-tration fait néanmoins froid dans le dos, avec la propension du mécanisme à se répéter sous toutes les latitudes…

Valeur-refuge

Face à la déliquescence du monde, la valeur-refuge apparaît, une fois encore, être la famille et, plus encore, nos enfants. Ermanno Olmi fait, dans Terra Madre, le pari – illusoire? – de la transmission sans douleur des richesses d’une Terre nourricière, là où tant Lukas Moodysson que Theo Angelopoulos, Jean-Paul Lilienfeld ( La Journée de la jupe), Peter Strickland ( Katalin Varga), voire même Richard Loncraine ( My One and Only) font de ces enfants les dépositaires objectifs d’un avenir forcément incertain. Et objets, à cet égard de toutes les attentions, en même temps que sujets de craintes proportionnelles.

Symptomatique, d’ailleurs: si certain(e)s se sont déporté(e)s du côté des contes et histoires extraordinaires, c’est pour mettre en scène qui, une vampire dévoreuse de jeunes filles – Erzebet Bathory dans The Countess, de Julie Delpy -, qui, un ogre – Barbe bleue, de Catherine Breillat.

Du reste, l’anxiété s’est-elle introduite jusque dans les £uvres les plus légères en apparence: adaptant Colette dans Chéri, Stephen Frears signe certes un film délicieux sur les caprices de l’amour conjugués aux affres du temps qui passe. Mais il cadre aussi les derniers feux d’une société au bord du gouffre, cette Belle Epoque qui, bientôt, allait imploser. Toute ressemblance avec des phénomènes récents ne saurait être accidentelle… l

www.berlinale.de

Texte Jean-François Pluijgers, à Berlin

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