Retrouvant Steven Soderbergh pour le savoureux The Informant!, Matt Damon signe une composition sidérante. Rencontre avec un acteur rare…

Privilège de (super)star, c’est dans le confort du Cipriani, à l’abri de la lagune, que Matt Damon a établi ses quartiers le temps de la Mostra. Ayant montré patte blanche et laissant l’effervescence du Lido derrière soi, on y rejoint un acteur détendu et disponible; un bonheur d’interlocuteur, alliant simplicité, lucidité et humour. Ce qui amène Damon à Venise, c’est The Informant!, sa cinquième collaboration avec Steven Soderbergh, après la série des Ocean et un caméo dans Che- Guerilla. Inspiré d’une histoire vraie, relatée par Kurt Eichenwald dans son livre The Informant, le film vaut à l’acteur un rôle peu banal. A savoir celui de Mark Whitacre, cadre d’une société agro-alimentaire qui décida, au début des années 90, de dénoncer les pratiques frauduleuses de sa compagnie auprès du FBI. Soit une plongée dans le monde de la criminalité industrielle, abordée, toutefois, sur le mode léger d’une comédie noire. « Le roman était beaucoup plus sérieux que le film, observe Matt Damon. Kurt Eichenwald et les différentes personnes impliquées dans l’histoire ont d’ailleurs eu un mouvement de recul lorsque Steven a annoncé qu’il allait l’envisager sous l’angle de la comédie. The Insider ayant déjà été tourné, il aurait été vain de refaire sensiblement le même film. Et cette histoire recelait suffisamment d’éléments drôles pour ce type de traitement, comme le volet agent secret… » C’est que Whitacre se prête bientôt avec entrain au rôle de taupe que lui impose le FBI, allant jusqu’à s’autoproclamer, un beau jour, Agent 0014, parce qu’il est « twice as smart as 007 ». Un observateur neutre y aurait sans doute décelé quelque trouble de la personnalité, « mais les enquêteurs étaient à ce point impliqués dans ce qui était la plus grosse affaire qu’ils aient jamais eu à traiter qu’ils ne se sont jamais posé la question.  » Même si, le temps aidant, le comportement erratique de Whitacre viendra quelque peu oblitérer son crédit…

Histoires de postiches

Chevalier blanc ou mythomane? De même que les motivations de Whitacre apparaissent insaisissables, son physique, tout en rondeurs, n’offre guère de prises – un choix arrêté par Steven Soderberghet Matt Damon qui, pour la cause, a pris 15 kilos, non sans arborer joues potelées, applique nasale et autre postiche. « Il fallait que le personnage soit dépourvu d’angles et d’aspérités. Son physique est une métaphore de quelqu’un dont on ne peut savoir à coup sûr s’il dit la vérité ou non. » Une métamorphose rien moins qu’impressionnante, qui amène l’acteur sur le terrain de l’anecdote: « Nous avons tourné dans une petite ville de l’Illinois, et des badauds venaient observer le tournage. Je ne sais si cela tient à la politesse des gens du Midwest, mais toujours est-il qu’ils me disaient invariablement: « waouw, c’est fou comme vous avez l’air plus en forme en chair et en os…  » (rires)

Evoque-t-on une transformation à la Brando ou De Niro qu’il ajoute une autre considération: « Pour un acteur, c’est à la fois un défi et une partie du plaisir. En tant que premier rôle dans un film, il est rare de pouvoir faire cela. Sur The Brothers Grimm , où j’avais un faux nez, il y a eu un conflit sérieux à ce sujet. Le sentiment des frères Weinstein, exprimé à leur manière, c’était: « nous ne te payons pas tout cet argent pour qu’on ne te reconnaisse pas sur les affiches. » Le faux nez ridiculement large dont j’étais affublé dans Ocean’s 13 n’était rien d’autre qu’un clin d’£il de Steven Soderbergh à Terry Gilliam, sur le film duquel je n’avais pu en adopter qu’une version minimaliste. Steven a voulu montrer qu’un film pouvait toujours être un succès, même avec ce type de postiche. Et cette fois, nous l’avons fait sérieusement, il y avait une logique là-dessous. »

Loin d’être anodine, cette mue aura également influencé le jeu de l’acteur: « Prendre du poids, cela change tout: la façon dont on marche, mais aussi la sensation procurée par les vêtements. A l’époque de The Bourne Identity , Doug Liman m’a demandé d’apprendre à boxer, fort de la conviction que les boxeurs se déplacent de façon vraiment économique, précise et directe. J’avais six mois devant moi, je l’ai fait, et il avait entièrement raison. Ces petites choses apportent un plus: même si le public ne peut pas identifier exactement pourquoi, tous ces petits messages renforcent la crédibilité du personnage. Une bonne partie de la crédibilité provient de ce que l’on fait physiquement – si l’on croit en la performance, j’ai fait mon boulot. Sinon, j’ai merdé… »

Eastwood, une inspiration

La trentaine finissante, on ne saurait mieux qualifier Matt Damon que d’épanoui. Parlez-lui de Soderbergh, et de leur expérience en commun, et il vous répond: « C’est l’un de ces réalisateurs qui évoluent à un très haut niveau. Il a le film en tête, mais le canevas n’est pas rigide pour autant. Tout avance très vite, pratiquement sans effort, ce qui requiert une sacrée expérience mais aussi une maîtrise parfaite du langage cinématographique. Pour quelqu’un qui n’est jamais allé sur un plateau auparavant, il est la pire personne à observer. Mais pour moi qui ai beaucoup tourné avec des réalisateurs fort différents, ce que je gagne en connaissance au simple fait de le regarder man£uvrer ne peut être surpassé par personne. »

Suggérez, dans la foulée, un bilan intermédiaire, et il apprécie: « A force de travailler dans le cinéma avec tant de gens plus âgés que moi et tellement excités par leur travail, je n’ai pas le sentiment que la vie soit un long calvaire, ni qu’elle aille s’empirant. » Damon parle d’or, lui qui vient de terminer le tournage de Invictus, avec un vétéran affichant 78 printemps, Clint Eastwood. « A 78 ans, il court toujours à côté de la steady cam, et n’hésite pas, une fois la journée terminée, à aller boire un verre. Il est enthousiaste et bourré d’énergie. Travailler avec lui est une inspiration: quand on voit ce qu’il a accompli, on se dit que c’est du domaine du possible et que l’on va soi-même tenter sa chance. Après tout, Clint Eastwood n’a pas réalisé de film avant d’avoir 39 ans. »

Bourne vs Bourne

Damon, lui, n’avait pas 30 ans lorsqu’il écrivit, avec son compère Ben Affleck, le scénario de Good Will Hunting de Gus Van Sant, le film qui devait lui ouvrir les portes de la renommée, en 1997. Si d’autres s’y seraient brûlé les ailes, le gaillard a pris les choses comme elles venaient: « J’ai géré la célébrité en travaillant. Quand, comme acteur, on a passé des années à lutter pour s’imposer, on garde en soi une peur liée au fait de ne jamais savoir d’où viendra le boulot suivant. Ben et moi n’avons pas cessé de travailler pendant 10 ans. » Ayant aujourd’hui mis la pédale douce, l’acteur se souvient encore: « A l’époque des films Miramax, nous travaillions six jours par semaine, à raison de 16 ou 18 heures par jour. Et le dimanche, je dormais toute la journée. Je suis ravi d’être passé par ces expériences, d’avoir tourné ces films et connu cet apprentissage, mais je ne le ferais plus. Je n’ai pas pris de break jusqu’à la naissance de ma fille Isabel, il y a 3 ans. Maintenant, c’est plus équilibré: j’ai une famille, les priorités ont changé… Et ralentir s’est révélé fort agréable. Si j’ai repris le boulot au bout d’un moment, c’est parce qu’il s’agissait d’Ocean’s 13, que j’allais y retrouver une famille, en quelque sorte, et que les horaires de Steven sont très raisonnables…  »

Parole d’acteur que trois enfants ont conduit à une relative sédentarisation. Ce qui ne devrait pas l’empêcher, après Invictus suivi de The Green Zone de Paul Greengrass, d’endosser à nouveau les habits de Jason Bourne, le quatrième volet de ses aventures étant annoncé à l’horizon 2011, si l’on en croit la toile. « Les studios procèdent toujours de la sorte avec une franchise. On va en discuter, Paul Greengrass et moi, et j’espère qu’il en sortira quelque chose. Nous souhaitons vraiment qu’il y ait un quatrième épisode, et nous ferons tout pour le réaliser. Mais comme ce fut le cas par le passé, il ne saurait être question de le tourner s’il ne devait pas être au moins de la qualité des précédents. » Voilà qui promet…

Entretien Jean-François Pluijgers à Venise.

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