Philippe Elhem
Philippe Elhem Journaliste jazz

Diaspora blues – Un coffret regroupant quatre albums des Blue Notes retrace leur parcours musical et témoigne d’une aventure humaine marquée du sceau de la malédiction.

The Blue Notes « The Ogun Collection »

Ogun Recording OGCD 024-028Lorsqu’en 1964, Blue Notes, l’un des rares groupes de jazz sud-africain multiracial formé un an plus tôt, reçoit une invitation officielle à se produire au festival d’Antibes / Juan-les-Pins, les 6 hommes qui le composent (1 blanc, 5 noirs) sont loin d’imaginer que presque aucun d’entre eux ne reverra sa famille et son pays. Quant après leur prestation dans le sud de la France, le pianiste Chris McGregor (le musicien blanc de la formation), le trompettiste Mongezi Feza, le bassiste Johnny Dyani, le batteur Louis Moholo, les saxophonistes Dudu Pukwana et Nick Moyake décident de rester en Europe, c’est à un apartheid radicalisé où l’état d’urgence, proclamé en 1961, interdit aux Noirs les réunions de plus de trois personnes, qu’ils fuient.

Avec l’aide de Dollar Brand, futur Abdullah Ibrahim, lui-même émigré en Europe, les Blue Notes vont d’abord s’installer à Zurich avant de rejoindre Londres douze mois plus tard, alors que le groupe se trouve réduit à un quintette. En effet, le saxophoniste ténor, Nick Moyake, supportant mal cet exil, est retourné en Afrique du Sud où il va mourir l’année suivante. Premier membre des Blue Notes à disparaître, il ne sera hélas pas le dernier. Une malédiction semble en effet frapper les Blue Notes, les uns après les autres. Mongezi Feza meurt en 1975 alors qu’il vient, après Rock Bottom et Ruth Is Stranger Than Richard, d’enregistrer à nouveau avec Robert Wyatt. Il sera suivi, dix ans plus tard de Johnny Mbizo Dyani avant que Chris McGregor et Dudu Pukwana ne décèdent en 1990 à un mois d’écart, faisant de Louis Tebugo Moholo-Moholo, le seul survivant et la mémoire vivante du groupe.

Dispersions

En fait, à peine arrivés à Londres, les Blue Notes n’existent déjà plus en tant que groupe. Eparpillés dans des projets divers où ils se retrouvent parfois, comme dans Assai puis Spear qui réunissent Dudu Pukwana, Mongezi Feza et Louis Moholo ou, encore, le fabuleux Brotherhood of Breath (La Confrérie du souffle) de Chris McGregor. A l’exception de deux sessions réalisées en 1968 pour Polydor dont l’une débouchera sur un album du Chris McGregor’s Group et l’autre sur un disque du groupe qui ne sortira que dix ans plus tard, l’activité des Blue Notes ne sera plus que sporadique. Trois des quatre albums réunis dans le coffret Ogun en témoignent étroitement: deux d’entre eux, Blue Notes For Mongezi et Blue Notes For Johnny (où ils sont réduits à un trio), ne les trouvent réunis que pour célébrer la disparition de l’un des leurs, le troisième, Blue Notes In Concert (1977) étant l’enregistrement d’une prestation exceptionnelle (dans tous les sens du terme) du groupe en club. Le dernier (qui est en fait le premier) est un document in-édit enregistré à Durban, en Afrique du Sud, peu avant leur départ pour l’Europe et permet, malgré un son précaire, d’entendre enfin le ténor de Nick Moyake.

Philippe Elhem

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