HÉRITIER DE FERRÉ, BASHUNG ET TOM WAITS, BABX INSUFFLE POÉSIE ET EXPÉRIMENTATION DANS UNE CHANSON FRANÇAISE SOUS PERFUSION. LIBÉRATION.

Avec Bertrand Belin, il est à presque 32 ans ce que la France de la chanson a de mieux à nous caler sous l’oreille. « Je ne suis que ce qu’on a fait de moi, rigole sous sa chevelure de savant fou David Babin, à ses heures perdues parolier pour Camélia Jordana et Julien Doré. Je suis né dans une famille où il y avait de la musique tout le temps et partout. Quand ce n’était pas de la musique, c’était de la peinture. Et quand ce n’était pas de la peinture, c’était du cinéma. Ma mère est pianiste mais aussi ethno-musicologue. Il y avait des musiciens du monde qui chantaient et pionçaient à la maison en permanence. C’était une espèce de teuf sans fin. » Sa grand-mère, qui habite la porte d’en face, accueille, elle, le gotha du classique. « Tu te serais cru dans une école de musique. »

C’est pourtant le cinéma, le métier d’acteur, Les Enfants du paradis de Carné avec les textes de Prévert qui le font d’abord rêver. « Mon beau père -s’il lit que je l’appelle comme ça il va me tuer mais c’est son état civil- est chef décorateur et plasticien. Il a bossé avec Carax, Godard, plein de gens. Il ne supportait pas que je glande. Quand j’étais gosse, il m’emmenait visiter les studios de cinéma et, ado, peindre sur les chantiers à six heures du mat. »

Il participe aussi à des films, des pubs, des pièces de théâtre. « Ce milieu des enfants comédiens insupportables m’a rapidement dégoûté. Il y régnait un rapport à l’ego horrible. Au bout d’un moment, j’ai décidé que ça me faisait chier. »

Puis que sa vie, ce serait la musique. Le metteur en scène Christophe Ramirez lui propose de composer pour une de ses pièces sur des textes de Roland Topor. David se met à écrire pour le théâtre, des documentaires, travaille avec la danseuse Kaori Ito…

« J’essaie de garder un lien avec ce milieu, plus ouvert et plus imaginatif que celui de la pop où on laisse beaucoup trop peu de place à l’imaginaire et à l’expérimentation. »

Il prépare d’ailleurs actuellement un opéra de poche avec le Metropolis Ensemble autour de Nikola Tesla. L’un des plus grands inventeurs de l’Histoire.

O Superman

Si sortir un disque est pour Babx un acte désespéré -« comme dans les Monty Python, le mec à qui on coupe un bras, puis l’autre et qui dit vas-y, je t’attends; on n’y est plus du tout »-, Drones Personnels est déjà son 3e album. Enfanté comme son prédécesseur au studio Pigalle. Là où Léo Ferré a enregistré son tout premier disque. « J’y suis artiste résident permanent. On a repris le fonds de commerce avec trois potes. Il y avait l’idée que le fantôme de pépère hantait les lieux. Moi, je suis juste un peu dans l’histoire financièrement parlant. Ce sont les autres qui se tapent le sale boulot. Tu me voyais rentier hein? Non, je ne suis pas le nouveau Mark Zuckerberg. »

Après Cristal Ballroom, acoustique et boisé, inspiré par la fin du XIXe siècle, la salle de bal du Titanic et les musiques un peu désuètes de Chaplin, Babx s’est intéressé aux machines, aux robots, aux technologies, profondément marqué par le O Superman de Laurie Anderson. Il n’écoute pratiquement plus de chanson française. « Si je tombe sur Brel ou Ferré, je peux me mettre à chialer comme un gamin. Et j’ai pas envie de me confronter à ça tous les jours. » Il préfère se foutre dans les écoutilles des choses plus expérimentales comme madame Lou Reed, Brian Eno, Tom Waits… Se plonger dans la musique classique et contemporaine. « Les trucs qui me touchent, je les écoute jusqu’à m’en dégoûter, puis je passe à autre chose. »

Gentiment schizophrène, comme la plupart des artistes, Babx pense à un personnage chaque fois qu’il écrit une nouvelle chanson. « Pour Despote Paranoïa, j’avais de quoi m’inspirer. Dans le côté théâtral, shakespearien, fantasque et pathétique, je trouve que Kadhafi faisait bien l’affaire. Ben Ali aussi. On a retrouvé en ouvrant ses palais des milliards en or, des biftons cachés sous le lit, des lingots dans les dressings. Et le jour où il a été exilé, sa femme l’a lâché comme une pauvre merde. Je traversais une période un peu complexe et, étant mon propre despote, je me suis trouvé un point commun avec ce connard. En fait, on était deux connards largués par nos nanas. »

Tchador Woman est dédié à Manal al-Sharif. Emprisonnée pour avoir conduit en Arabie saoudite. « J’ai été touché par ces femmes qui prenaient le volant contre leurs autorités ultra conservatrices. Et qui, comme dans Boulevard de la mort de Tarantino, arpentaient leur pays en criant fuck à leurs dirigeants. »

Il lui a envoyé sa chanson. « Je voulais m’assurer que je n’étais pas à côté de mes pompes. Le petit bobo parisien qui vient de lire Libé et écrit un morceau un peu provoc. » Sur la manière de poser la voix, Babx a pensé à Time to Get Away de LCD Soundsystem. Et pour les guitares, à des bagnoles toutes crados pleines de cambouis. « Sonic Youth quoi. J’ai assemblé et ça ressemblait à Bashung. J’ai failli ne pas la mettre sur l’album tellement c’est abusé. »

Suzanne aux yeux noirs, elle, parle de sa grand-mère maternelle. L’une des femmes de sa vie. « Elle mourait environ 40 fois par an. Normal vu ce qu’elle se mettait dans le cornet. C’était une espèce de punk. Une Keith Richards qui s’enfilait un litre de whisky et deux paquets de Gitanes par jour. Quand elle s’est débarrassée de ses vinyles, je suis tombé sur Suzanne de Leonard Cohen. J’ai eu l’idée de ma grand-mère Suzanne qui écoute cette chanson portant son nom. Puis, un jour où j’allais lui rendre visite à l’hosto, je m’arrête devant une fleur grimpante du marché. Cette fleur-là, dit-il en montrant un tatouage sur son avant-bras. Et le fleuriste me dit qu’elle s’appelle « La Suzanne aux yeux noirs ». Quand les médecins nous ont dit: « C’est fini, il va falloir la laisser partir« , elle était encore à peu près consciente. Donc, je lui ai foutu le casque sur les oreilles. C’est le dernier truc qu’elle a entendu. A moins qu’elle se soit chanté d’autres trucs avant de partir. »

DRONES PERSONNELS, DISTRIBUÉ PAR PIAS. 8

LE 14/09 À L’ESPACE DELVAUX (BRUXELLES).

RENCONTRE Julien Broquet

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