Le Sade de la photo – Icône de la culture underground, le photographe Terry Richardson est un redoutable culbuteur d’images qui met à poil nos fantasmes.

Taschen, 288 pages.

Les âmes prudes passeront leur chemin. Car l’homme ne fait pas dans la dentelle. Inventeur désigné du porno chic (les campagnes les plus hot de Sisley ou Gucci, c’est lui), Terry Richardson pratique la photo en mode hard. Ce New-Yorkais moustachu à la dégaine de redneck est en quelque sorte l’anti-Richard Avedon, le peintre du glamour et de la femme sublimée. Même si, comme son compatriote, Richardson doit sa notoriété à la mode qui l’a révélé au grand public et mis au goût du jour. Mais là où Avedon recherchait la sensualité, un érotisme sophistiqué et léché, le Sade de la photo prend un malin plaisir à clacher sur sa pellicule tout un monde interlope, celui des stars du porno, des travelos, des gays, des punks, des échangistes. Croqués de préférence dans leur milieu naturel.

Obsédé par le sexe comme il le confie dans l’intro de sa monographie parue en 2004 et rééditée aujourd’hui à prix cassé, ce provocateur-né culbute les clichés, sodomise le politiquement correct puisqu’avec cet habitué des verges, des nichons et des culs, il faut bien appeler un chat un chat sous peine de passer à côté de l’essentiel.

Une des premières photos de l’album annonce d’ailleurs la couleur: on y voit un Terry Richardson nu comme un ver – seulement vêtu de ses tatouages, de ses lunettes seventies qui sont sa marque de fabrique et d’une paire de cornes rouges – brandir un trident de pacotille. Le diable habite dans la tête de cet homme. Un diable assoiffé de sexe et de débauche mais non dépourvu d’humour.

Car si Richardson est vulgaire, outrancier, lubrique, il ne se prend pas au sérieux. Qu’il glisse un pénis en érection dans un hot-dog ou qu’il mette côte-à-côte une poupée gonflable et une bimbo lui ressemblant comme deux gouttes de sueur, l’humour fait craquer le vernis de l’obscénité. De sorte que le naturel (re)prend le dessus sur la parade nuptiale mécanique et désincarnée qui régit le porno.

UN QUART ANGE, TROIS-QUARTS DéMON

Désosseur d’images, il s’empare des tabous/fantasmes les plus ancrés/refoulés sous le tapis de nos certitudes pour les détourner, les ridiculiser et finalement les désamorcer. Ainsi, quand il glisse une verge tumescente dans un escarpin à haut talon, il démontre que le sexe n’est pas qu’un objet de consommation confisqué par une industrie mais que c’est aussi, avec un peu d’imagination, l’ingrédient principal d’une farce visuelle. Bref, ça ressemble à de la pornographie, ça en a la texture, mais ce n’est pas de la pornographie. C’est même tout le contraire. Une dénonciation du formatage des corps et des consciences.

Ce chantier de démolition lui vaut un statut d’icône dans les milieux underground. Et donc aussi, par ricochet, dans les cercles hype. Il tire le portrait des stars (Kate Moss, Chloë Sevigny…). Et les magazines branchés se l’arrachent. Un de ses clichés, trois bouches en gros plan s’emmêlant les langues, faisait encore la couverture des Inrocks dernièrement.

Photographe instinctif, ce satyre compulsif cultive l’esprit amateur, les cadrages serrés, les éclairages bruts. Son regard est incisif. Sa technique faussement désinvolte. Volontairement apparente.

Alors, bien sûr, c’est trash, indécent, hardcore. Mais comme pouvait l’être Pasolini en tournant Salò ou les 120 journées de Sodome. On grimace en découvrant certaines images. Mais on finit par s’amuser de cet étalage de petites vérités épicées. Il faut juste savoir où l’on met les pieds. Et tout le reste…

Laurent Raphaël

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