Des producteurs entrent dans la danse pour sortir leurs propres films, dans un contexte délicat pour la profession de distributeur, maillon historique de la chaîne du cinéma…

I l a beau rester, globalement, le loisir numéro un et l’objet culturel le plus résonant, le cinéma est entré dans une nouvelle période de fortes turbulences. Même les grandes compagnies américaines connaissent les effets de la crise, certaines – comme Warner Bros – n’ayant déjà plus de bureau de distribution chez nous. Producteurs, distributeurs et exploitants de salles belges parlent avec les pouvoirs publics, dont le soutien est plus indispensable que jamais. Les budgets, dit-on du côté de la Communauté française, ne devraient pas baisser malgré les économies à faire. Le contexte est délicat, pénible même pour certains, à l’heure où une opération sans précédent et intellectuellement stupéfiante offre aux lecteurs d’un magazine de télévision flamand (Humo) 270 000 tickets gratuits pour aller voir la Merditude des choses… dans le circuit Kinepolis.

Le secteur de la distribution, clairement perturbé par le hiatus entre films de plus en plus nombreux et écrans de moins en moins disponibles, voit aussi débarquer aujourd’hui des producteurs devenant aussi distributeurs pour sortir leurs propres films! C’est le cas de Climax, avec Big Bang Distribution, et de Versus avec la société O’Brother. La première structure distribue notamment des films de Philippe Blasband et Manuel Poutte, et annonce 5 à 8 films par an. La seconde vise une dizaine de titres par an, et proposera des films signés Micha Wald, Bouli Lanners, Joachim Lafosse et Stefan Liberski, plus les coproductions françaises de Versus. Jacques-Henri Bronckart, créateur de Versus avec son frère Olivier voici 10 ans déjà, ne veut pas présenter O’Brother comme une réaction à la difficulté – bien réelle – pour un producteur de films belges francophones de trouver un distributeur prêt à les acheter.  » Cette question fait partie d’une réflexion d’ensemble, débutée voici 2 ans et demi déjà, explique-t-il, et dont l’objet est d’amener nos films – mais pas seulement – au public de la manière la plus appropriée et la plus créative possibles. »

Un pari risqué

Certes, les propos dans la presse du distributeur belge d’ Eldorado, le film de Bouli Lanners, clamant dans les pages d’un important quotidien francophone – et avant même la sortie du film! – qu’on ne l’y reprendrait plus (à distribuer un film belge francophone à priori peu porteur), n’ont sans doute pas été sans effet sur la décision des Bronckart de prendre les choses en mains. Ils n’ignorent pas qu’avec de plus en plus de films à sortir, et le nombre d’entrées généralement médiocre des productions locales (même les meilleures), les distributeurs en place ont de moins en moins de scrupule à dire non à des producteurs qu’ils voient parfois comme des  » casse-couilles » aux exigences infondées. Mais notre interlocuteur se veut avant tout positif.  » Nous nous sommes engagés dans la distribution après mûre réflexion, et de manière avant tout pragmatique. C’est un désir de cinéma, comme la création de notre société de production voici 10 ans. Nous arrivons avec envie, fraîcheur, un peu de naïveté aussi peut-être, mais une grande volonté d’apprendre, et de prendre nos responsabilités« , explique Bronckart. L’humilité de ses propos se comprenant bien, car il n’est pas facile de débarquer sur un marché où les autres sont déjà connus et reconnus, ont des collaborations suivies avec certains vendeurs et des accès privilégiés dus au travail accompli.

2 employés à temps plein ont été engagés pour l’activité distribution, une attachée de presse indépendante y travaillera aussi, et une bonne dizaine de films par an devrait permettre d’atteindre la « masse critique » indispensable pour jouer un rôle sur ce qui reste un marché, même si Jacques-Henri Bronckart rappelle que  » pour une maison comme la nôtre, la vraie plus-value, ce sont les auteurs. » Il sera (très) intéressant de voir si la nouvelle donne qu’appelle la création de sociétés comme O’Brother et Big Bang aura des effets sur la fréquentation des films de jeunes cinéastes belges, fêtés par la critique mais boudés par le public de leur propre pays…

Texte Louis Danvers

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Partner Content