respirer la poussière de future star et lui proposer un contrat d’enregistrement. C’est toujours la mission première du talent scout…

L’histoire se passe dans une boîte à Champagne de Bruxelles, là où les professionnelles sont particulièrement décontractées lorsqu’elles sont plongées dans un bain de bulles. L’artiste, en résidence studio à l’ICP d’Ixelles, y est accompagné de son scout et de quelques suiveurs. Ils ont goulûment consommé la nuit et, à présent, la lumière blafarde du petit matin éclaire la note finale: un peu plus de 3000 euros… Le scout dégaine sa Gold et règle l’ensemble d’un zip volage. C’est la face glamour du talent scout ou directeur artistique (1) mais sa mission principale consiste d’abord à faire enregistrer des disques à l’artiste, à la fois jockey et cheval. Le scout, lui, sert tour à tour de palefrenier, d’entraîneur, de soigneur et de vétérinaire. La profession est aussi vieille que la course d’obstacles. L’une des références ultimes, c’est John H. Hammond (1910-1987) qui va patronner sur Columbia la carrière de Bob Dylan, Aretha Franklin, Leonard Cohen et Bruce Springsteen. Plus d’Hammond dans les parages, mais il y a un certain Marc Thonon.

Grand travail

Thonon, un demi-siècle juvénile au compteur, est producteur indépendant. Sur son label Atmosphériques, il a déjà commis quelques succès mémorables. En signant Louise Attaque, débusqué lors d’un concours où il est juré, il réalise un premier album écoulé à la faramineuse quantité de 2 600 000 exemplaires! La vie de Thonon, Liégeois parti s’installer à Paris, est presque un roman. Parmi ses personnages, Bashung époque Chatterton ou Khaled pour lequel il débusque le producteur Don Was à Los Angeles: en résulte Didi, succès planétaire.  » On a toujours la cote de son dernier succès: il suffit de 3 ou 4 mois de silence pour remettre notre valeur à zéro. » Marc n’est pas dupe. En attendant, il y a eu le phénomène Charlie Winston.  » On en est à 410 000 albums », dit-il sans triomphalisme:  » On avait parlé de Charlie à un membre de mon équipe qui est allé l’écouter sur MySpace et en est revenu comme un fou. Like A Hobo existait mais n’avait rien à voir avec l’actuelle version. » Marc file à Londres voir le Charlie en première partie de son frère et apprend qu’il existe déjà l’équivalent d’un disque, auto-produit:  » C’était loin d’être mon album idéal, je suis rentré à Paris avec les chansons et on a tout repris à zéro. Pendant 13 mois non stop, à 5 personnes, on a travaillé sur Charlie: la direction artistique mais aussi l’image de la pochette, les clips, en accord avec l’artiste. » L’affaire a tourné au triomphe commercial dans un marché morose qui, bizarrement, a toujours besoin du scout!  » Aujourd’hui, c’est parfois l’artiste lui-même – et non pas la maison de disques – qui se tourne vers nous pour des conseils artistiques, de stratégie. Comme Radiohead, qui se passe de gros label mais s’entoure de brillants conseillers. »

Le métier n’est pas différent en Belgique, même si les moyens le sont. Pierre Van Braekel, bookeur au sein de Nada, administrateur des labels 62TV et 30 février (Eté 67, Saule, etc.) est aussi talent scout. En 2002, sur foi d’une maquette de 3 titres, il signe Girls In Hawaii.  » Cela a été comme un coup de foudre, presque une rencontre d’amour, sauf qu’il n’y a rien de sexuel. » Pierre, 44 ans, n’est pas dirigiste et pratique une maïeutique simple :  » Faire accoucher les gens d’eux-mêmes, ils étaient très doués et un peu oie blanche, je leur ai dit tout ce que je savais et je leur ai conseillé de devenir musiciens pros. » Devenu leur manager, Pierre n’a pas modifié son attitude scout : il reçoit toujours des maquettes, une trentaine par mois. En cette matinée de fin octobre, les Girls sont venus pour discuter de la suite des événements. Un album devrait sortir en 2010, même si le second tome des aventures des Brabançons a moins cartonné que le premier: 15 000 CD écoulés en Belgique, 25 000 ailleurs, c’est 20 000 de moins que le précédent. Mais Pierre et les Filles savent qu’une carrière se construit sur la longueur, même si les divorces interrompent fréquemment les mariages. C’est ce que vit pour l’instant Marc Hollander de Crammed Discs: le nouvel album de Bebel Gilberto sort chez Verve/Universal, pas chez lui (2). Crammed a pourtant sorti les 3 disques précédents et réalisé un carton majeur avec Tanto tempo vendu à un million de copies dans la foulée de sa sortie en 2000. Marc compte d’autres découvertes fortes – Zap Mama, Taraf de Haïdouks, Konono n°1 – et travaille dans le présent:  » Avec Bebel, on avait un contrat de 3 disques donc… C’est plus fâcheux quand il y a rupture de contrat, que le groupe se dit que l’herbe est plus verte ailleurs. Le côté talent scout n’est qu’une partie de ce boulot: après avoir trouvé la perle, il faut savoir la polir. On n’est pas forcément des Pygmalions, on doit permettre aux gens de s’épanouir. » Crammed Discs vient de décrocher 2 prix au marché international du Womex, dont un pour le merveilleux groupe kinois Staff Benda Bilili, prochainement en concert (3). D’ailleurs, Crammed est aussi un label explorateur. A Kinshasa, Vincent Kenis, producteur et talent scout maison , compagnon de route d’Hollander, a déjà débusqué et enregistré 3 merveilles: le Staff, Konono n°1 et Kasaï All Stars. C’est peu dire que ce Belge-là y est connu comme le loup blanc. Mais ça, c’est déjà une autre histoire.

(1) en anglais, A & R pour Artists & Repertoire.

(2) en fait, sur un sous-label de Crammed, Ziriguiboom.

(3) le 27/11 à Anvers, le 11/12 au Botanique.

Texte Philippe Cornet

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