MIKE LEIGH SIGNE UN PORTRAIT TOUT EN CONTRASTES DU PEINTRE WILLIAM TURNER, S’INTERROGEANT À SA SUITE SUR L’ACTE CRÉATIF DANS UN FILM TOUT SIMPLEMENT LUMINEUX.

Un portrait de William Turner, maître incontesté de la peinture britannique, il y a une quinzaine d’années déjà que Mike Leigh y pensait. Si la production a été lente à se mettre en place, le résultat justifiait largement l’attente: son Mr. Turner est l’un des films les plus fascinants qu’il ait été donné de voir ces derniers mois, offrant une vision contrastée de l’homme, campé avec maestria et abnégation par Timothy Spall, comme de son art, au coeur d’une réflexion inspirée sur l’acte créatif. Soit une exemplaire réussite, commentée avec le sourire par le réalisateur de Secrets and Lies, bien loin de l’image bougonne fréquemment colportée à son sujet.

Pourquoi vous être concentré sur la dernière partie de la vie de Turner?

Je ne voulais pas d’un biopic, commençant sur un petit garçon jouant Turner. Je pensais qu’un tel film serait ennuyeux et fastidieux à faire. Mais plus fondamentalement, la dernière partie de sa vie me permettait d’en explorer quelques-uns des aspects les plus intéressants: elle suit le traumatisme provoqué par la mort de son père, il y développe sa relation avec Mrs Booth et, surtout, son travail se fait plus radical, et est l’objet de critiques. Turner anticipait l’art du XXe siècle, les Impressionnistes, et on ne comprenait pas ce qu’il faisait. Le cadre de ces 25 dernières années me permettait de raconter l’histoire d’une vie.

On ne connaît pas grand-chose de la vie privée de Turner. Comment avez-vous procédé pour en savoir plus? Sur sa façon de s’exprimer notamment?

Sa façon de parler a été décrite par des témoins qui ont rapporté ses propos. Et nous connaissons certains éléments de sa vie privée, même si le film n’est en aucun cas un documentaire, et que nous avons pris des libertés. Le film est la combinaison de nos recherches et de décisions créatives néanmoins fondées.

Que ressentez-vous face à l’une de ses toiles?

J’aime Turner, que je considère comme le plus passionnant et le plus extraordinaire des peintres. Et son travail est extrêmement cinématique. Prenez sa fameuse toile Hannibal traversant les Alpes: n’importe quel peintre s’emparant de cette histoire remplirait le cadre d’éléphants, avec Hannibal les dominant. Il n’y a que Turner pour le représenter en petit, au bas du tableau, anticipant ce qui, en cinéma, serait un plan d’ensemble dominé par un paysage épique.

Donner à votre film l’aspect d’une peinture s’est-il avéré difficile?

Ne pas le faire aurait été excentrique. Nous avons longuement étudié ses peintures, et Dick Pope (le chef-opérateur de Mike Leigh, ndlr) a pu étudier la palette de Turner à la Tate Gallery, à Londres. Le champ ouvert par les nouvelles technologies nous a aussi aidés considérablement à obtenir des éléments « turneresques ». Une fois que l’on a consacré beaucoup de temps à observer l’oeuvre, à réfléchir à ses couleurs, elle s’insinue dans votre flux sanguin, et on commence à envisager le travail avec le regard de Turner.

Vous ne vouliez pas d’un biopic traditionnel. Quelles facettes de l’homme et de l’artiste teniez-vous à montrer?

Mr. Turner est, pour moi, un film sur le travail et sur l’engagement, sur le fait d’être déterminé et de vouloir voir des choses arriver, et de s’y atteler. Mais c’est aussi un film sur la complexité d’être monomaniaque, avec les répercussions que cela peut avoir sur l’existence. Quel que soit le protagoniste d’un film, on espère trouver dans sa vie un sens qui puisse résonner avec le public.

Comment avez-vous approché la langue anglaise dans ce film?

Une partie du plaisir, lorsque l’on tourne un film comme celui-ci, réside dans le fait de s’en tenir à une langue qui soit rigoureusement conforme à celle de l’époque. Turner n’est jamais mort que 92 ans avant ma naissance, il n’y a donc pas si longtemps. Et on peut s’appuyer sur Dickens, Jane Austen et d’autres auteurs du XIXe siècle. J’ai veillé à être aussi précis que possible en créant cet univers, et je n’ai pas fait de concessions à l’ère moderne: si l’on commence à faire des compromis en rendant le parler, les costumes, le maquillage plus modernes pour qu’ils soient plus accessibles, on arrive à l’effet inverse. Le public se trouve confronté à une sorte de no man’s land de zombies, alors que s’il s’agit d’un univers réaliste, qui existe et respire, on peut commencer à y croire, et à s’y identifier.

Pourquoi Mr. Turner et non simplement Turner?

Parce que cela dit implicitement qu’il s’agit d’un homme évoluant dans le monde réel.

RENCONTRE Jean-François Pluijgers, À Cannes

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