ON THE ROAD AGAIN – Stephen Shore a fixé sur la pellicule l’Amérique des seventies. Une monographie nous replonge dans cet univers à la banalité fascinante.

De Christy Lange, Michael Fried et Joel Sternfeld, éditions Phaidon, 160 pages, disponible fin mai.

Juillet 1973. La tête remplie des images que Robert Frank a ramenées de son périple à travers l’Amérique profonde 20 ans plus tôt (et qu’il consignera dans un album culte, Les Américains), Stephen Shore, 25 ans au compteur, se lance dans une traversée des Etats-Unis au volant de sa voiture. Un voyage initiatique à la Kerouac, sans montre ni itinéraire détaillé. Avec juste un objectif: dompter ce ruban d’asphalte mythique où bat le pouls de l’Amérique.

Très vite, le jeune aventurier sent qu’il peut tirer un parti artistique de cette entreprise.  » Quelques jours après mon départ, raconte-t-il dans son journal, je me suis rendu compte que mon projet était de tenir un journal de bord photographique: photographier tous les repas que je prenais, toutes les personnes que je rencontrais, les lits où je dormais, les toilettes que j’utilisais, les villes que je traversais.  »

Pendant un an que va durer cette errance rythmée par les paroles entêtantes de Bobby Troup ( » Now you go thru Saint Looey; Joplin, Missouri and Oklahoma City is oh so pretty… « ), le photographe va accumuler un maximum de souvenirs. Rien n’échappe à son regard d’entomologiste de la modernité. Edifices, paysages et habitants de cette Amérique bigarrée sont gravés sur sa pellicule. Méticuleux, il conserve la moindre trace de son passage, même la plus anodine: tickets de restaurant, articles découpés dans la presse locale, virements, etc. Au cours de ce long périple, il accumulera ainsi de la matière pour plusieurs livres. Dont cette monographie offre un large éventail entre ses travaux plus anciens – notamment au sein de la Factory d’Andy Warhol – et plus récents.

GO WEST YOUNG MAN!

Outre son journal, véritable carnet de bord consignant tous les détails de son existence (et que les éditions Phaidon rééditent également sous forme de fac-similé), il rassemble une partie de ses clichés sous l’étiquette American surfaces. Un joyeux patchwork où se côtoient un salon de coiffure du Queens, un steak frites à Springfield et un pompiste de l’Ohio. D’autres instantanés de lieux et d’objets tout aussi fétiches (un parking vide, un abat-jour en laine au goût douteux) alimenteront la série Uncommon Places. Deux ensembles qui contribueront largement à asseoir sa notoriété internationale et qui ont acquis depuis le statut de pièces maîtresses de la photographie contemporaine.

Leur singularité tient en grande partie à leur insignifiance. Du moins au premier abord. Nous sommes dans les seventies, période de doute et de fracas pour ce pays qui guerroie sans fin à l’autre bout du monde. Rien de toute cette fureur ne transparaît pourtant sur ces photos couleurs révélant une Amérique ordinaire et tranquille, peuplée d’églises, de supermarchés et de rêves climatisés. Loin de la vision trash d’une Nan Golding ou des clins d’£il ironiques d’un Martin Parr, Stephen Shore adopte une neutralité troublante. Ni célébration de l’American way of life ni plongée dans l’envers du décor, il décrit ce monde comme le ferait un fonctionnaire de l’équipement. Devant son objectif, c’est le destin d’une nation satisfaite d’elle-même qui défile. Trop propre pour être honnête…

LAURENT RAPHAëL

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