Stef Kamil Carlens

"Chaque titre a au moins 150 pistes, j'en ai marre des musiques très simples." © PHILIPPE CORNET

Making Sense of Infinitytitre Stef Kamil Carlens pour un second album solo aussi politisé que finement travaillé dans les nuances chromatiques.

 » J’aime bien Bruxelles…c’est une belle ville. » Du haut du Wiels -l’ancienne brasserie de Forest transformée en centre d’art- la capitale ressemble à un énorme circuit de train électrique pour gosses. Trois lignes de chemin de fer filent vers le Midi, un mini-Atomium décore un bout d’horizon, le tout dans une armée de toits rouges. Le sens esthétique de Stef Kamil Carlens est moins brouillon que celui de Bruxelles. Que ce soit dans la tenue du jour de l’artiste, une intégrale black à l’exception de pompes marron, comme dans ce nouveau Making Sense of Infinity (lire notre critique en page 37). Moins sombre dans son propos, pourtant largement concerné par notre époque, que dans ses fringues. Venteux comme on l’éprouve désormais au jour le jour. Stef l’a peaufiné dans son antre d’Hoboken, ancienne scierie devenue à la fois sa maison et son studio. Deux bâtiments voisins y font face à des arbres généreux.  » Un paradis », qui a demandé quinze ans de travaux -largement assumés par la famille Carlens- dans un ex-quartier ouvrier aux nombreux dépôts et ateliers. À quelques kilomètres du centre d’Anvers, ville de naissance de Stef en 1970. Ado qui boucle ses humanités à 21 ans, le musicien passé par dEUS et Zita Swoon va à des manifs mais ne s’intéresse pas forcément à la politique globale avant la crise choc de 2008.  » Je me suis demandé comment tout ça était possible. J’ai commencé à m’informer, à chercher des sources, à m’intéresser à ceux qui essaient d’analyser notre système qui, de toute évidence, ne fonctionne pas. Par exemple, le fait que l’argent soit mis en circulation bien au-delà de toutes les réserves d’or et garanties disponibles. Dès qu’il est créé, le fric est déjà attaché à sa propre dette. » Pas de méprise, l’album de SKC n’est pas un manifeste anti-Milton Friedman. Plutôt une collection d’histoires de traverse comme Fresco, du nom de l’architecte et futuriste américain (prénommé Jacque) qui a passé sa vie à imaginer des solutions durables. Ou encore Painted Glass, ciblant les écrans constants et les théories du complot. Mais le plus beau moment du disque vient sur Lament on General Smedley D. Butler, récit d’une lenteur hypnotique sur ce haut-gradé américain qui écrira en 1935, une fois la retraite venue, un livre dénonçant les complicités de l’industrie des armes avec la finance.  » Avant, j’étais sans doute trop sauvage pour me concentrer sur ces thèmes, mais j’ai quand même toujours été dans les manifs contre le racisme ou le nucléaire. Mon disque raconte un peu le cycle de la vie, de l’homme conscient qu’il va mourir mais qui voyage, n’a pas peur, fait des enfants, des fêtes ou sa maison. C’est un peu moi, c’est beaucoup de gens. »

Soupe à la citrouille

Les neuf chansons nouvelles sont nourries de nuances instrumentales, de multiples tonalités fondues dans un résultat parfois jubilatoire. Comme le solaire Back on the Road, ouvrant les festivités. Travail en autoproduction effectué sur une période de deux ans incluant  » des semaines, non plutôt des mois, passés au mixage sur les détails ». « Chaque titre a au moins 150 pistes, j’en ai marre des musiques très simples », précise celui qui est aussi peintre-illustrateur -y compris de la pochette de l’album- et même créateur occasionnel de ses propres vêtements, avec un goût pour les pantalons extra-larges et les tonalités chaudes.  » J’ai toujours eu cette envie de créer un monde à moi, avec ce que j’aime, ce qui semble éternel. Je ne suis pas enfermé dans ce monde-là, je sors dans d’autres mondes, que ce soit pour travailler au Burkina Faso, en Italie pour une prochaine tournée solo ou à Charleroi quand je suis allé récemment visiter Melanie De Biasio dans la grande maison qu’elle a achetée. On a bu du vin et du rhum et on a joué sur son piano Wurlitzer à quatre mains. En rentrant chez moi, j’ai écrit My Soul Is in the Desert , qui est sur le disque. » Mais si Stef adhère à une politique, c’est d’abord celle de l’indépendance et du hors-pression. Cela passe par la complicité avec sa femme -Laurence, Tournaisienne d’origine- qui est aussi sa manageuse. Et leur fils de 17 ans qui inspire un morceau où il est question d’adolescence et de soupe à la citrouille ( Making Butter, Baking Bread). SKC semble avoir emprunté ce chemin escarpé où la pop-star en devenir des années 1990-2000 s’est peu à peu métamorphosée en artisan mondialiste. Avec le moins de contraintes possible.  » En anglais, on appelle cela du « borrowed time » , s’offrir du temps dans des moments un peu perdus où tu traînes avec une guitare, un livre, une phrase. J’essaie de bien garder ça parce que je sais que les idées viennent quand tu as laissé tomber la garde. J’enregistre tout, je note tout, je filme tout. Et quand je commence à travailler, je questionne le contenu mais aussi la forme. Et petit à petit, le truc se construit. » Tout en refusant l’étroitesse d’esprit qui voudrait, par exemple, que la Belgique ne se divise encore plus qu’elle ne l’est aujourd’hui. Idées solidaires qui se lisent aussi dans ce nouvel album fourmillant, et cela fait du bien.

Stef Kamil Carlens sera en concert le 23/10 à l’Ancienne Belgique à BRUXELLES et le 18/01 au Reflektor à Liège.

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