Philippe Cornet
Philippe Cornet Journaliste musique

Staff toujours prêt – Les chansons du Staff sortent des rues rouillées de Kinshasa. Elle font groover le bitume vers une infinie poussière de mélancolie.

« Très très fort »

Distribué par Crammed.Les premiers accords du disque menés sur des cordes aigrelettes, sur Moto Moindo, pourraient venir des Balkans crucifiés mais ils débarquent de la RDC, une sorte de grande Yougoslavie nègre soumise aux vacheries de la corruption, de l’exploitation abusive de ses richesses et des soubresauts électriques d’une démocratie borgne. Quatre millions de morts – quand même – ensevelis dans les guerres et exils intérieurs de ces douze dernières années… Dans le cas du Staff, rajoutez-y aussi la poliomyélite qui a cloué les artistes du band dans des chaises roulantes customisées. Voilà un disque où la rumba traditionnelle du pays est donc nourrie et déroutée par d’autres sons et d’autres douleurs qui rendent ces chansons pauvres et vivantes, extrêmement universelles. Quelles que soient la verdeur des rythmes et des sonorités, tout semble d’une puissante fragilité: les voix conviées en ch£urs magnifiques, les instruments bricolés, l’enregistrement réalisé à la manière kinoise, c’est-à-dire en tripatouillant une électricité, par nature, infidèle. Dans ces morceaux mélodiques, caressants, se dessine un sentimentalisme contagieux. Avec parfois, de curieux accidents sonores: ainsi, Sala Keba ressemble au genre de slow crapuleux qui pouvait faire danser les ados américains des fifties, une version famélique et burinée de Paul Anka… L’irrésistible Sala Mosala a le parfum décontracté d’une pop cramée par le soleil. Résultat: on prend les chansons sous notre aile comme autant de canaris blessés, lisant à travers l’extrême beauté de leur dépouillement, un cinglant désir de vivre.

Belgo-congolais

Sur la belle pochette intérieure du disque, derrière l’armada de tricycles, de barda de survie et les silhouettes endormies dans la nuit de Kinshasa, pointe le bâtiment du Centre Wallonie-Bruxelles. Pas un hasard puisque le Staff dort dans ce coin-là, au centre de la capitale, mais quand même, ce lien avec notre pays, expose une réalité: une partie des artistes kinois les plus originaux, ceux qui sortent du répertoire traditionnel célébré par les marques de bière ou de téléphonie locale, ne survivraient sans doute pas sans la Belgique. Et Crammed Discs, débusqueur de musique congolaise, des Congotronics, de Konono n°1, des Kasaï All Stars, invite maintenant à entendre ces Staffeurs des rues, accrochés à leurs chaises tripatouillées avec l’ingénuité et l’humour contagieux du désespoir. Il y a aussi de cela dans cette musique dégraissée de nos préoccupations de riches, cette rumba améliorée, ces instruments entre le miel de leurs promesses et les dissonances vinaigrées qui les frappent. Le travail du producteur Vincent Kenis et de toute l’équipe belge, pour nous amener cette musique si réelle qu’elle en fait peur, mériterait d’être reconnu d’utilité publique. Ce n’est pas Karel De Gucht qui dira le contraire, sauf qu’il n’a bien évidemment jamais entendu parler de ce Staff-là. Mais comme le chante le groupe dans Tonkara,  » Il n’est jamais trop tard… ».

www.crammed.be

Philippe Cornet

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