L’OPÉRA POP DE FLORENT MARCHET, BAMBI GALAXY, POURRAIT N’ÊTRE QU’UNE AGRÉABLE UTOPIE JUPITÉRIENNE. MAIS LA DÉMARCHE DU TRENTENAIRE FACÉTIEUX POSE AU FINAL DES QUESTIONS BIEN TERRIENNES.

« C’était pendant la dernière tournée sur Courchevel, on échangeait beaucoup avec le groupe, et pas seulement sur la musique. Je pensais aussi aux deux enfants que j’avais eus, et cette histoire de transmission me travaillait. » Florent Marchet, 33 ans, fils d’un employé de banque et d’une institutrice « ayant pleinement profité de la parenthèse enchantée des années 70, époque où l’ascenseur social fonctionnait encore« , a fini par trouver un mode particulier pour évoquer ses racines, racontées sur son nouveau disque: le futur et celui des générations suivantes. Ce petit-fils de paysans lit les ouvrages de Didier Eribon –Le retour à Reims et La société comme verdict– et pense à ce qu’il « peut s’autoriser« : « J’ai compris que le transfuge social -aller dans un autre milieu en étant détaché de ses origines- est rarement possible. Je ne me sentirai jamais totalement parisien alors que je suis arrivé en ville il y a plus de quinze ans. »

Gamin, Florent lit dans le magazine Astrapi le futur miraculeux de l’an 2000, les voitures volantes et tout cela. « Alors qu’aujourd’hui, on s’aperçoit que 10 % de la population possède la moitié des richesses du globe, multipliées par 40 en un siècle. La middle class disparaît, y compris dans le milieu des chanteurs. La mondialisation est devenue celle de la différence. » Les parents Marchet avaient repris dans leur petit village un ancien ciné à l’abandon pour y tenir des rencontres culturelles: c’était un peu des « ovnis ». Florent ne déroge pas à cette règle d’essayer des choses persos, insulaires, même en chansons: « Vu des années 80, le futur fantastique que l’on nous annonçait ne s’est pas réalisé. Mais on sait beaucoup plus de choses qu’avant, par exemple sur la plasticité du cerveau, le Boson de Higgs(1), pour comprendre qu’on participe à l’expansion du mouvement de l’univers sans que les hommes se soient organisés pour mieux le vivre pour autant. D’où l’idée de l’album: l’homme qui cherche sa place, qui est heureux pour donner un sens à son existence.  »

Bachelier, « autodidacte » qui est allé à la fac mais qui « n’aimait pas les diplômes », Marchet tâte néanmoins de la philo et de l’Histoire de l’art à la Sorbonne « pour apprendre ». Mis au piano dès l’âge de cinq ans, il arrête le cursus avant la « médaille d’or« dela dernière année du Conservatoire à Bourges: on sent le ferment classique dans sa façon de mettre de l’hélium dans les mélodies, gonflées de petites jouissances donnant de la gravité au disque. Sans doute la différence ontologique entre variété et pop. Genres que Florent ignore jusqu’à l’âge de 17 ans, réquisitionné par le classique.

Puis, il « remplace des musiciens dans des groupes irlandais ou tziganes », bourlingue, fait ses armes. Il se passionne vite pour les sons, et particulièrement pour les instruments inventés dans les années 60-70. Il admire François de Roubaix et Alain Goraguer, pioche un orgue sur eBay ou une reproduction fidèle de mellotron en Allemagne et « veut absolument trouver la sonorité qui fait rêver ou la texture d’une pièce de Pierre Henry ». Bambi Galaxy s’écrit donc à coups de DV800 MaxiKorg ou de Roland sh 09, « ce dernier, beaucoup plus puissant que le Minimoog, va dans les infrabasses comme jamais aucun clavier numérique ne pourra le faire. J’aime l’idée de sonorités d’origine qui ne cherchaient pas à imiter -comme les actuelles reproductions digitales- mais qui inventaient. On a voulu s’inscrire dans notre époque aussi, même si ce n’est pas dans la musique atonale qui devait être celle du futur (rires). » Installés dans sa résidence de Maisons-Alfort, au sud-est de Paris, Florent et ses musiciens bâtissent intégralement le Bambi disque.

Raël et le Temple Solaire

Dans les douze chansons « space » de l’album, il y a un maximum de moments vigoureusement mélodiques (647, Que font les anges, Heliopolis), mais aussi des mots surprenants. Ainsi la phrase du titre Space Opera (« Oh Raël mon amour, prends-moi dans tes bras ») et l’allusion à Michel Tabachnik, ancien membre du Temple Solaire dans Apollo 21. Le premier, Raël, prétendument messager des extra-terrestres, est considéré comme un escroc/gourou cheap, le second, chef d’orchestre coté, a été relaxé en 2001 et 2006 dans un retentissant procès suite au triple suicide collectif -plus sûrement un assassinat- rayant de la carte les membres d’un temple pas du tout solaire. Alors les sectes, Florent? « Pour moi, les choses sont claires. Dans une société qui construit un système qui arrive à son terme, l’homme étant de plus en plus autocentré et narcissique, les gens qui ne trouvent pas leur place vont chercher une existence dans un monde encore plus dangereux que celui des traders: celui des dérives sectaires. Et j’ai essayé de comprendre comment des gens parfois brillants et intelligents, comme Tabachnik, étaient à ce point manipulables. C’est effrayant mais cela montre qu’il y a un besoin. »

On en est aux croquettes de crevettes dans un resto anderlechtois et Marchet souligne le cynisme olympique du néo-libéralisme, « qui fait plus de dégât que le Temple Solaire. Il ne faut pas laisser aux sectes ce terrain de réflexion sur la place de l’homme dans l’univers. L’album pose la question du bonheur et souligne aussi combien les politiques semblent se détacher du sens de l’existence, ne travaillant que sur le court terme. C’est un album qui parle de comment on est revenu au Moyen Age aujourd’hui. C’est pour cela que je trouve que la phrase de Gainsbourg -« la chanson est un art mineur »- a décomplexé ceux qui sont là pour faire du pognon. Certains s’étonnent que j’aie fait un vrai travail de recherche et de documentation, mais c’est ce que font les réalisateurs, les écrivains ou les journalistes. La chanson française parle à 95 % d’amour. Imaginons le cinéma ou la littérature faisant cela: on deviendrait fous. »

(1) DÉMONSTRATION DE L’EXISTENCE D’UNE PARTICULE ÉLÉMENTAIRE, À LA BASE DE LA PHYSIQUE DES PARTICULES.

CD BAMBI GALAXY CHEZ PIAS.

RENCONTRE Philippe Cornet

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