MARTIN ZANDVLIET ÉVOQUE AVEC FORCE, DANS LAND OF MINE, LE DÉMINAGE D’UNE CÔTE DANOISE PAR DE JEUNES PRISONNIERSALLEMANDS.

« C’est une histoire vraie et pourtant méconnue, aucun livre ne lui a jamais été consacré au Danemark. Pourtant, elle mérite d’être rapportée. Aujourd’hui peut-être plus encore que jamais, dans un monde livré à la peur et à la haine. Il est sans doute plus facile d’apprendre d’une histoire survenue il y a 70 ans, une histoire qui invite à réfléchir au risque de compromettre, en affrontant l’ennemi, ces mêmes valeurs au nom desquelles nous le combattons… » Martin Zandvliet a consacré trois ans à l’écriture du scénario de Land of Mine (lire la critique page 29), prenante évocation d’un épisode de l’immédiat après-Seconde Guerre mondiale: l’envoi sur la côte Ouest du Danemark de très jeunes soldats allemands prisonniers, chargés du périlleux travail de déminage d’une zone littéralement truffée d’engins de mort. Le réalisateur danois de 45 ans signe son film le plus marquant avec cette plongée dans un passé ambigu, repoussant tout manichéisme au profit d’une approche à la fois touchée par l’empathie et marquée par le maintien d’une salutaire distance. « Les faits authentiques sont tellement forts en soi qu’il est inutile d’en ajouter sur le plan des sentiments« , déclare un cinéaste qui a voulu battre en brèche « cette tendance qu’ont les pays vainqueurs en général et ceux d’Occident en particulier à se voir en héros sans tache, du film de cow-boys au film de guerre. Il n’y a pas de nation héroïque par définition, nous avons tous fait de petits et de grands mensonges, nous avons tous commis des actes peu glorieux. Nous nous grandissons en le reconnaissant, je pense…  »

Un regard critique

Dès l’entame, où l’on voit un sergent de l’armée danoise au regard furieux s’en prendre à des prisonniers allemands en leur criant: « Ce pays est le mien! » (1), Land of Mine installe une lourde et douloureuse atmosphère. Pour tous, vainqueurs comme vaincus, les horreurs de la guerre ont atteint une intensité qui laisse sidéré, fourbu, profondément marqué. « Je voulais faire ressentir le dilemme qui se posait aux survivants de cette guerre, explique Martin Zandvliet. Vous avez triomphé du nazisme, vous avez vu l’horreur effarante qu’il a commise, vous êtes plein de colère et de haine, et vous voulez cracher tout ça. Mais en même temps, vous savez que quelque chose est mal, que la revanche vous laissera un goût amer… La guerre est terminée, mais des gamins vont mourir pour expier des fautes qu’ils n’ont pas commises. Il y avait énormément de soldats allemands prisonniers, mais on a choisi d’envoyer vers une mort probable (près de la moitié furent tués ou mutilés) des milliers d’adolescents mobilisés tout à la fin de la guerre, en désespoir de cause, par un régime aux abois…  »

Le cheminement moral du sergent chargé de diriger un groupe de démineurs, joué (remarquablement) par Rolland Moller, épouse cette interrogation au fur et à mesure d’un récit aux couleurs humaines aussi riches que changeantes. « C’est son premier grand rôle au cinéma, et il réussit cette délicate balance entre l’expression et la retenue, commente Zandvliet, car il s’agit d’en dire beaucoup… sans avoir à le dire explicitement. Je déteste les scènes informatives et les grands discours. » La grandeur de Land of Mine réside dans ce minimalisme assumé de la parole qui ouvre l’espace d’un paysage sauvage (celui-là même où se déroulèrent les faits historiques) à une respiration proprement cinématographique, où l’image dit tout ou presque. L’héritage de Dreyer, le plus grand réalisateur danois et un artiste aimant travailler les questions morales? Martin Zandvliet ne cache pas son admiration pour l’auteur de Vampyr et d’Ordet, même si son travail s’inscrit délibérément dans une forme de réalisme contemporain où la maîtrise compte moins que le désir d’offrir en partage « un regard critique sur le monde, sur nous-mêmes« . Et de conclure en insistant sur « cette vérité que ce que nous faisons des enfants dans la guerre, dans les périodes de trouble, et au lendemain, définit notre humanité plus que tout autre chose. C’était vrai quand les Allemands envoyaient au front leurs propres gosses, quand des Danois leur faisaient creuser le sable à main nue pour trouver les mines, ou en laissaient 7 000 autres mourir faute de soins médicaux… D’autres enfants sont aujourd’hui dans des camps, en danger, du fait de guerres dans lesquelles nous portons une responsabilité. Qu’allons-nous faire pour eux? »

(1) ALLUSION AU DOUBLE SENS DU TITRE: « MON PAYS À MOI » ET « PAYS DE MINE« …

RENCONTRE Louis Danvers

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Partner Content