Damon Albarn et Jamie Hewlett relancent le cartoon band le plus célèbre de la planète pop. Dans les bacs, un Plastic Beach au poil A gratter…

Comme tout bon film, cela commence par une course-poursuite de bagnoles dans le désert. Le trailer de Stylo, le nouveau single de Gorillaz, donne le ton, funky et parano. Chaleur écrasante, radiateur percé, gueules de déterrés et vitres brisées: cela promet de l’action, du suspense et de longues plages de questionnements existentialistes, assommé sous un soleil de plomb. Gorillaz est de retour, et c’est plus que jamais un événement. La machine marketing tourne évidemment à plein régime et fait tout pour ça. Force est de constater pourtant qu’au-delà de l’effet de l’emballement, peu de sorties sont autant attendues, scrutées, dissertées.

Rappel des faits. En 2001, un « mystérieux » groupe débarque sur le devant de la scène. Ils sont 4: le chanteur mélancolico-défoncé 2D, le bassiste-leader déglingué Murdoc Nicalls, la guitariste placide Noodle, et le batteur-armoire à glace Russel-Hobbs. Il ne faut pas attendre longtemps pour découvrir qui tire les ficelles de ce groupe virtuel. D’un côté, on retrouve Damon Albarn, en récréation de Blur, alors encore actif (l’ultime Think Tank sortira en 2003); et de l’autre, l’illustrateur Jamie Hewlett, connu notamment pour avoir créé le personnage de Tank Girl. A deux, ils ont posé le cadre d’un univers qui va faire des étincelles. La pop de Gorillaz est dark, dub, cultivée et accrocheuse. Hospitalière aussi. Gorillaz invite ainsi régulièrement des gros calibres à le rejoindre: du papy cubain Ibrahim Ferrer à Dennis Hopper, en passant par De La Soul, Shaun Ryder (Happy Mondays), Ike Turner…

Résultat: un premier album éponyme, suivi en 2005 de Demon Days, accompagnés d’une pelletée de tubes ( Feel Good Inc. , Clint Eastwood, Dirty Harry, Dare…). Aujourd’hui, ce sont quelque 15 millions de disques qui ont été vendus sous le nom de Gorillaz. Enorme, d’autant plus pour un secteur musical en pleine crise. Une industrie qui n’existe plus renflouée par un groupe qui n’existe pas: la situation ne manque pas de piquant…

Aux armes, etc…

Depuis, on pensait le concept au point mort. Damon Albarn a multiplié les escapades ( lire plus loin), tandis que le projet de réaliser un long métrage autour de Gorillaz a apparemment fait long feu. La mise sur pied d’une série de concerts a aussi pompé pas mal d’énergie (comment amener sur scène un groupe virtuel?). Albarn et Hewlett ont confectionné un beau joujou. Mais la créature, si elle n’a pas dépassé ses concepteurs, ne leur en a pas moins demandé de plus en plus d’investissement…

Cinq ans après Demon Days, voilà pourtant Gorillaz reloaded. Le buzz a été relancé, à coups de clips énigmatiques, de jeu vidéo, d’installations temporaires, de bouts de musique lâchés ici et là. Mais en ne donnant quasi aucune interview. La presse n’a ainsi pas grand-chose à se mettre sous la dent, ce qui ne l’empêche pas d’embrayer. C’est que Gorillaz reste un de concepts pop les plus aboutis de ces dernières années, réalisé par l’une des figures essentielles de la scène musicale actuelle. Quoi de neuf donc dans l’univers de Gorillaz? Murdoc Nicalls, esprit malade dans un corps décavé, a livré quelques explications. Après avoir abandonné le groupe, le bassiste a notamment investi dans la téléphonie mobile et l’immobilier (une série de pyramides, du côté de Gizeh…). Pas de chance: derrière ces affaires a priori juteuses, se cachait l’escroc Bernie Madoff. Ruiné, Nicalls s’est donc lancé dans le commerce d’armes pour se renflouer. « J’ai acheté en seconde main un exemplaire de As Used On The Famous Nelson Mandela de Mark Thomas. Il vous explique comment il est possible très facilement de fournir des armes un peu partout, en récupérant des vieux stocks et en les revendant après un coup de peinture. Tant que les papiers sont remplis, c’est cool, non? A la base, c’est ce que font tous les gouvernements de toutes manières. L’industrie militaire anglaise est la deuxième dans le monde! » Problème: Nicalls va devoir faire face à quelques clients mécontents. Pour sauver sa peau, il est donc obligé de s’exiler. D’autant plus qu’il est poursuivi parallèlement par l’Office de l’enfance. L’institution veut lui faire endosser la paternité d’un groupe dont les membres affichent en effet un étonnant air de famille: the Horrors…

Acculé, Nicalls trouve alors refuge sur une île inconnue,  » un morceau géant de plastique pourri au milieu de nulle part ». C’est là sur cet endroit paumé, bientôt baptisé « Plastic Beach » que Nicalls construit un nouveau studio. L’idée: enregistrer un troisième album de Gorillaz pour payer ses dettes. Et de reformer ainsi le groupe, de gré ou de force – Noodle, portée disparue, a été clonée; D2, pas franchement enthousiaste, a été lui kidnappé pour la cause…

Agit-pop

Voilà pour le « scénario » du jour. Bien barré, un poil potache, mais dont le sous-texte laisse deviner de manière assez limpide les préoccupations d’Albarn et Hewlett. Foncièrement, elles n’ont pas beaucoup changé depuis le premier album, façon agit-p(r)op 1.0.

Via le personnage de Nicalls, le duo explique que si l’île en question ressemble à un vrai dépotoir, Plastic Beach n’est pas pour autant un disque écolo. « C’est la bande-son d’une plage de plastique… Ce n’est pas un jugement sur le monde. C’est juste un constat. » N’empêche… En octobre dernier, par exemple, Hewlett accompagnait encore Oxfam au Bangladesh – pays dont 80 % du territoire se trouve en zone inondable – pour constater les dégâts déjà causés par le changement climatique. Gorillaz est né lors d’une soirée télé entre potes: effondrés devant la qualité de l’imagerie pop de l’époque, Albarn et Hewlett décidaient alors de lancer leur propre projet pour mieux secouer le cocotier. Sont notamment dans la ligne de mire la téléréalité et ses chanteurs en toc, directement propulsés devant des millions de téléspectateurs. En 2010, Gorillaz a encore de quoi faire: la culture de la célébrité a continué son glissement trash, Susan Boyle vend des disques par camions, les émissions de télécrochet continuent à attirer les foules. Héros de cartoon contre idole en plastique, le combat est lancé.

Dans les années 70, Gill Scott-Heron annonçait ainsi que la révolution ne serait pas télévisée. En intro de Plastic Beach, Snoop Dogg, l’un des nombreux invités du disque, affirme l’inverse: s’il y a contestation, elle sera d’abord médiatique. Au c£ur du spectacle.

Gorillaz, Plastic Beach, EMI

Texte Laurent Hoebrechts

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