Son combat ordinaire

Manu Larcenet rit de ses angoisses et de ses dépressions en invoquant de Vinci, Cézanne, Raphaël et même Dieu dans sa quête de l’idée du siècle.

Il faudra un jour se pencher vraiment là-dessus: pourquoi le nombrilisme est-il à ce point indissociable de la BD comme la mayonnaise l’est de la frite? Un coup d’oeil sur cette double page et les chroniques de la semaine suffit à s’en convaincre: les auteurs de bande dessinée n’aiment rien plus que de parler d’eux-mêmes, de leur métier, et de cette chose si mystérieuse, si excitante et parfois si anxiogène qu’est la création. Manu Larcenet ne déroge donc pas à la règle et s’offre lui aussi son propre album introspectif, bien plus que ne l’était déjà son hilarante série du Retour à la terre qu’il mène avec Jean-Yves Ferri. Mais cette Thérapie de groupe, paradoxalement menée en solo, sauf à prendre les lecteurs à témoin, s’avère très vite un miroir qu’il tend aussi vers ses névroses, ses TOC et ses épisodes dépressifs -qui seraient dramatiques s’ils n’étaient pas à nouveau traités avec humour, un minimum de détachement, un maximum d’autodérision et surtout un talent fou fou fou.

Son combat ordinaire

Trou noir et page blanche

Larcenet donc, puisque c’est bien de lui qu’il s’agit, cherche donc l’idée du siècle, cette  » étoile qui danse au fond du chaos » qu’est sa vie:  » Avant, je pondais un chef-d’oeuvre tous les deux ou trois mois… Réglé comme du papier à musique! Eh bien aujourd’hui, fini la musique! Le trou noir sur la page blanche! Ne me reste plus que le silence ahurissant de ma propre incurie. » Et de montrer, à la page suivante, ce qu’il a dessiné la veille: un gag à la sous-sous-sous-Fabcaro sur Jean-Jacques et Bruno – L’aventure au bureau. Et ainsi, tout en cherchant sans trouver, Larcenet raconte, délire, s’amuse, balance, aligne les (belles) planches, prend ses modèles à témoin… et s’avale de temps en temps une armoire de Xanax face à sa femme et ses enfants, qui ne s’en formalisent plus. Une tragi-comédie en 56 pages d’une liberté totale, avec Larcenet effectivement plus bipolaire voire schizophrène que jamais, telle une roue libre qui navigue en permanence du gros rire époque Bill Baroud aux envolées graphiques, dramatiques et lyriques qu’on a connues dans Blast. Finalement, un juste milieu qui semble au moins l’occuper à défaut de le soigner, et qui donne presque malgré lui des planches superbes à regarder, après en avoir ri ou en avoir eu la gorge serrée, presque d’une case à l’autre. Entièrement réalisé sur tablette graphique -sauf erreur, une première pour Larcenet-, ce premier tome de sa Thérapie de groupe donne encore à voir son immense talent et ses facilités, tant d’écriture que de dessin. Dans le genre crise de la cinquantaine, on a connu bien pire.

Thérapie de groupe – T. 1: L’étoile qui danse

de Manu Larcenet, éditions Dargaud, 56 pages.

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