Soleil à coudre

À Cité de Dieu, bidonville d’Haïti, Tête fêlée (adolescente et  » allégorie des mille et une peines du ghetto« ) survit entre sa mère Fleur d’Orange, prostituée quasi coite dont  » [le] corps est devenu une fête pour l’alcool » et Papa  » qui ne se sent traversé par la vie que quand il cogne« . À la solde de l’Ange du Métal (malfrat puissant qui ne rate jamais une cible), ce beau-père brutal ne cesse de répéter à la jeune fille ce refrain lugubre:  » Tu seras seule dans la grande nuit« . Comme seule consolation, il y a cette camarade de classe à qui Tête fêlée s’efforce d’écrire une lettre d’amour indicible. Les deux jeunes filles ont eu très peu de temps intime avant que Silence ne parte à New York, loin du chaos. Mais la douleur n’a pas encore décoché sa dernière flèche… Noir c’est noir -et l’on songe parfois à Anguille sous roche d’Ali Zamir ou à Tropique de la violence de Nathacha Appanah, aux insularités tout aussi (in)humaines. Mais Jean D’Amérique s’inscrit surtout avec sa patte poétique dans la lignée d’une littérature haïtienne qui bouscule la narration, rend fiévreuse la chair et se fait vecteur de la métamorphose des mots comme des êtres. Jamais avare d’épiphanies, le primo-romancier cultive l’éblouissement de la langue tout en dressant le constat implacable des ruines.

De Jean d’Amérique, éditions Actes Sud, 134 pages.

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