Laurent Hoebrechts
Laurent Hoebrechts Journaliste musique

APRÈS CINQ ANS D’ABSENCE, LILY ALLEN REVIENT DANS L’ARÈNE POP. LA LANGUE TOUJOURS BIEN PENDUE, MAIS EN CHERCHANT PARFOIS LES BONNES CHANSONS.

Lily Allen

« Sheezus »

DISTRIBUÉ PAR PARLOPHONE.

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« Vous vous souvenez encore de votre mot de passe MySpace? »… A la question posée récemment par le journaliste du Rolling Stone, Lily Allen répond: « Aucune idée! » Forcément. Vous vous rappelez, vous, du password de votre compte Caramail? C’était il y a à peine dix ans, et tout cela semble quasi remonter au Jurassique. En 2005, Lily Allen postait quelques démos sur la plateforme, à l’insu de son label, et créait le « buzz ». L’idée était lancée: s’il décime l’industrie musicale, le Web peut aussi aider les artistes à se faire connaître. Depuis, on en est évidemment revenu, et si Internet a en effet bouleversé le show-biz, il lui a aussi offert un nouvel outil marketing, hyperpuissant. Fin de la parenthèse… Le vrai changement était en fait peut-être ailleurs. En 2006 -l’année de sortie d’Allright, Still-, pour la première fois en Angleterre, les femmes ont passé plus de temps que les hommes devant Internet. Hasard (ou pas), c’est aussi à ce moment-là que les filles ont commencé à dominer la pop, tout en refusant de se voir cantonnées dans les rôles de poupées sexy. A cet égard, Lily Allen, et sa grande gueule de Londonienne décomplexée, était parfaite pour mener le débat.

Give me that crown, bitch

Cinq ans après son deuxième disque (It’s Not Me, It’s You) -le temps de digérer à la fois le tourbillon de la célébrité et l’étourdissement de deux maternités successives-, elle relance aujourd’hui la discussion avec Sheezus (clin d’oeil appuyé au Yeezus de Kanye West). Depuis 2009, les choses ont cependant évolué. Le girl power dans les charts est désormais un fait, de Katy Perry à Rihanna. Beyoncé fait la Une du Time magazine consacré aux 100 personnalités les plus influentes, tandis que Lorde (Royals) endosse le rôle de girl next door tenu jusqu’ici par… Lily Allen. L’intéressée ne s’y trompe pas: « Give me that crown, bitch », lance-t-elle sur Sheezus. Le clash n’en est pas vraiment un. D’ailleurs, elle explique: « It makes me angry, I’m serious/But then again, I’m just about to get my period. » C’était donc ça: la miss va être réglée… Une manière de désamorcer et, surtout, de glisser le genre de petite phrase qui dans la bouche d’un homme serait passée pour sacrément macho… Car on a beau dire, les mecs restent cette espèce un peu lourdaude, un peu plouc. Cet été, Allen réglait son compte au Blurred Lines de Thicke avec Hard Out There (« If I told you about my sex life/You’d call me a slut/Them boys be talking ’bout their bitches/No one’s making a fuss »). C’est un peu comme ça qu’on préfère l’entendre: en pleine conversation. C’est glissé avec gouaille, mais toujours avec l’idée que la pop, aussi légère soit-elle, est une chose importante, un medium qui peut encore raconter des choses sur l’époque.

Problème: musicalement, Sheezus tire trop rarement son épingle du jeu. Interpellée sur Twitter, Allen avait elle-même reconnu que les premiers morceaux entendus n’étaient pas ses meilleurs… En réalité, déjà sur l’album précédent, le son avait été « grossi », perdant la fraîcheur de titres comme Smile ou LDN. C’est encore davantage le cas ici. On ne parle pas des essais r’n’b eighties plutôt réussis (Insincerely Yours, Close Your Eyes), mais d’autres moments plus banals ou téléphonés (URL Badman, Take My Place…) qui cherchent trop à convaincre. « Been here before, so I’m prepared/Not gonna lie though, I’m kinda scared », reconnaît-t-elle encore sur le morceau-titre. Et on le sait, la peur est rarement bonne conseillère.

LAURENT HOEBRECHTS

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