Shamane ****

© National

Après le remarquable Johanne, Marc Graciano retourne explorer le sillon plus contemporain de son travail. Il nous offre ici 16 chapitres (soit 16 phrases) qui, avec leur pouvoir enveloppant (rythmés par les conjonctions de coordination) sont des invitations à la lenteur, à l’immersion spirituelle. Comme dans Au pays de la fille électrique, sa protagoniste, plutôt jeune, est nomade. Mais c’est ici par choix qu’elle se place en léger retrait des hommes, faisant de son camion aménagé son quartier général et puisant dans la forêt de quoi vivre (ragoûts de berces et truites capturées à même la rivière) et méditer, de quoi faire de son corps un alphabet patiemment répété de gestes (comme chez l’héroïne du Grand jeu de Céline Minard, sœur en semi-solitude). La fille voit la montagne calcaire à perte d’horizon comme l’échine d’une vache endormie, qui meuglerait parfois lorsque les avions passent, elle se plaît à “assister au spectacle du monde extérieur”. Comme souvent chez l’auteur du Sacret, il y a ici une attention ultra- fine au vivant (les moutons, les chiens qui les gardent), à ses bruits et à ses métamorphoses. Les oiseaux, en particulier, font l’objet d’une observation attendrie. Reste qu’il est impossible de faire abstraction de la présence humaine. Entre apprivoisement inquiet puis charnel (comme dans le chapitre Les Noces où le corps d’une campeuse est un territoire à arpenter, une communion à atteindre) et collision menaçante et inéluctable avec un intrus, l’auteur fait sourdre ici tant la beauté que la violence innommable, toujours indissociables dans son œuvre.

De Marc Graciano, éditions Le Tripode, 192 pages.

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Partner Content