ÉTONNANT BRICOLEUR ET GÉNIAL RECYCLEUR, JARBY MC COY SAMPLE DES CHIFFRES ET DES LETTRES ET LES VINYLES LES PLUS POURRIS POUR CRÉER UNE MUSIQUE À LA FOIS EXCITANTE, TOUCHANTE, DRÔLE ET POÉTIQUE.

Paraît qu’il porte un manteau en poils de chameau et des bottes de cow-boy. Mais qui est vraiment Jarby Mc Coy? Au fond d’une petite cour liégeoise se cache la tanière, bordélique, de cet ancien Coyote. Un grand bric-à-brac à l’image de sa musique. Celle d’un serial colleur et étrange recycleur, music lover ascendant bricoleur. « Je suis un musicien frustré, se présente-t-il dans son appart à tout faire. Je ne sais pas jouer de guitare ni même de piano. Mais j’ai deux feuilles de chou absolument infaillibles. »

La musique, comme le cinéma, Gabriel (« même ma mère aujourd’hui m’appelle Gab’s, ça fait bizarre ») est tombé dedans quand il était petit. Les joies des familles nombreuses. « J’avais huit ans quand j’ai vu Dersou Ouzala avec mon frère au cinoche. On a eu la télé très tard, mais on allait voir les westerns de John Wayne chez les voisins. » Monomaniaque, le gamin d’Oupeye fait une fixette sur Queen. Revend les disques de Freddy à un mec de la cité d’en face pour se payer deux Genesis. Puis tombe dans le jazz rock. « Mes parents n’allaient jamais au cinéma. Ne sont jamais rentrés dans un musée. Ils ont bossé comme des boeufs. Mon père a fait cinq ans dans les camps. On n’a jamais manqué de rien et en même temps, on nous a inculqué la valeur de l’argent. Je vis en moyenne avec 800 euros par mois depuis 25 ans. » La musique, il ne l’apprend pas. Il l’écoute. En fait des compils sur cassettes qu’il offre à ses copines. « Pour draguer, ça marchait du tonnerre. »

Jarby Mc Coy (un surnom qu’il doit à son pote Sacha « Zop Hopop » Toorop) est aussi un rat de médiathèque. « J’y ai claqué deux bagnoles au moins. J’attaquais les rayons par ordre alphabétique. Si à l’époque, on m’avait dit: « Un jour tu feras un disque », je n’y aurais jamais cru. »

Mais début des années 90, Jarby découvre la lo-fi et Sebadoh. « Le bassiste de Dinosaur Jr avec un micro tout pourri qui mettait ses tripes sur la table. Là, j’ai réalisé: ah ouais, on peut faire ça aussi. Avec si peu. Sans savoir jouer ou, dans leur cas, en faisant semblant de ne pas savoir. »

Ensuite, il y a le One Foot in the Grave de Beck. « Je me suis dit: moi aussi, je peux faire le con et procurer de l’émotion. Alors quand un pote est venu enregistrer ma cuisinière et qu’il a laissé chez moi son 4 pistes cassette, j’ai mis un micro dedans et j’ai fait mon premier morceau. »

Magie de Noël. Il décide d’enregistrer une chanson pour le « vieux barbu » et de l’envoyer comme carte de voeux. « Je n’avais que cinq minutes sur une cassette d’une heure. C’était du gaspillage. Je suis donc passé chez tous mes copains, des copains punks, des copains bourrés, en leur disant: « Je vous laisse un quart d’heure pour me créer un titre de Noël. » C’est devenu une tradition. Il y a des enfants qui crient, ma mère qui chante en wallon. C’est très brut. Très expérimental. »

Jo le hasard…

Dans la cuisine trône une baignoire. Rien chez Jarby Mc Coy ne semble à sa place. Et tout est pourtant très bien là où ça est… C’est en partie ce qui fait son charme. Sur la table, dans de petits cadres, des peintures de femmes dévêtues qu’il rhabille de maillots en tissu. « Je suis couturier à la base. Ça s’est super bien vendu pour les fêtes. Je suis devenu un expert du nu dans l’histoire de l’art. » Jarby Mc Coy est aussi spécialisé dans les illustrations d’ours et de cerfs. La faute à sa pochette de Naomka, album qu’il a enregistré, arrangé, mixé et produit pour Benoît Lizen.

Adepte de la digression, toujours prêt à passer du coq à l’âne, Jarby raconte Tous à Zanzibar. « Un vieux bâtiment des pharmacies populaires qu’on a transformé en local de répète avec un petit resto qui tuait sa race où tu bouffais pour cinq euros. » Son expérience d’ouvreuse au Churchill et les débuts de Bouli Lanners. « On vient du même genre de famille. Catho machin. Petit Jésus. Tout ce qui va avec. »

Il se souvient des souscriptions pour financer son premier court (Travellinckx, 1999) tourné en Super 8 avec les sous des amis. Des bobines périmées achetées au marché aux puces. « Avec Bouli, j’étais driver, costumier. Je faisais la régie, même si on n’était que cinq. Et j’ai composé quelques musiques dont celle d’Ultranova (il a aussi signé celle du film canadien Congorama, NDLR). On passait dix heures par jour sur les routes. A écouter de la country, à fumer des pétards et à regarder le paysage à 30 à l’heure pour ses repérages. On avait la même sensibilité. »

Avec un ordinateur et Ableton Live, « le programme le plus génial du monde », Jarby se met finalement à bricoler des samples. « Un jour, j’ai décidé d’utiliser tous mes brols. Ça a donné Décollages (2007), mon premier disque. Je ne pouvais pas le vendre. J’y démolissais plein de morceaux des autres. Alors, je demandais aux gens un truc créatif en échange. Ne serait-ce qu’un bazar à manger. J’ai reçu des CD. Des photos et des peintures aussi. » Elles sont accrochées au mur. Non loin de la plieuse artisanale qu’il a créée pour ses pochettes en carton. Celles de Daniel Hélin notamment.

« Je fais des boucles avec les disques qu’on me donne. Des albums dont les gens veulent se débarrasser. Des trucs grecs, des groupes d’accordéon… J’écoute beaucoup de musiques à côté de la plaque. Des bidules tout pourris parfois. Souvent, les gens pensent que je fais encore des compilations. Mais la batterie, le piano, les guitares ne viennent pas des mêmes morceaux. Comme je le dis souvent, je ne joue pas d’un instrument mais je joue des musiciens. Je m’amuse avec la musique des autres. Mon meilleur ami s’appelle Jo le hasard. Il crée la moitié des chansons. Il figure d’ailleurs dans les remerciements de mon nouvel album Rien ne me suffit plus. »

Comme Jo fait souvent bien les choses, il y a aussi eu les Coyote (Sam Pierot et Christophe Paul) dans la vie de Jarby. « J’ai découvert Ce que feraient les vaches, leur projet précédent, en 2004 dans un bac de liégeoiseries qu’on pouvait emprunter gratuitement à la médiathèque et j’ai fini par rejoindre Coyote. Sam était encore avec moi dans cette pièce quelques jours avant son décès. Un jour, il était ici. Le lendemain, il n’était plus là. Vivre est une maladie mortelle. » Parole de grand malade…

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