Scandale(s) sur la Croisette

L'avventura

L’Histoire du festival de Cannes est balisée de controverses plus ou moins retentissantes. Retour sur quelques-unes d’entre elles, au confluent de débats esthétiques et moraux…

Alors même que l’on n’en avait pas encore découvert la moindre image, la rumeur faisait déjà de Benedetta, le nouvel opus de Paul Verhoeven, le scandale annoncé de l’édition 2020 du festival de Cannes. S’il faudra attendre un an encore avant de pouvoir juger sur pièce (tout indiquant que le film figurera dans la sélection en 2021), voilà qui vient rappeler que le plus prestigieux des festivals de cinéma ne serait pas tout à fait le même sans les controverses, plus ou moins violentes, ayant émaillé sa longue histoire. Une vérité qui ne date pas d’hier, et qui a adopté, au gré des époques, des formes différentes.

Oncle Boonmee, celui qui se souvient de ses vies antérieures
Oncle Boonmee, celui qui se souvient de ses vies antérieures

L’hyperbole comme règle

Écho d’un temps depuis longtemps révolu où les pays choisissaient les films qui les représentaient, Cannes a ainsi connu son lot d’incidents diplomatiques. Le plus fameux remonte à 1956 lorsque, afin de ne pas froisser les autorités allemandes et de ne pas nuire au processus de réconciliation, le gouvernement français retirait Nuit et brouillard, le documentaire d’Alain Resnais sur l’univers concentrationnaire, de la sélection officielle, le film étant néanmoins projeté sur la Croisette. La plupart des scandales cannois se situeront toutefois au confluent des débats esthétiques et/ou moraux. Ainsi lors de l’édition de 1960, dont La Dolce Vita, de Federico Fellini, repartait avec la Palme d’or, L’avventura, de Michelangelo Antonioni, obtenant pour sa part le Prix du jury. Deux films pourtant houspillés, ce qui ne les empêche pas d’être considérés, 60 ans plus tard, comme des chefs-d’oeuvre absolus ayant contribué à faire basculer le 7e art dans la modernité. D’autres polémiques esthétiques suivront: l’austère Sous le soleil de Satan, de Maurice Pialat, récompensé en 1987 de la Palme d’or sous les sifflets, sans se laisser démonter pour autant – » Si vous ne m’aimez pas, je peux vous dire que je ne vous aime pas non plus« ; Crash, de David Cronenberg, dont la collision glacée de sexe et de mort devait secouer le festival en 1995; Oncle Boonmee, celui qui se souvient de ses vies antérieures, rêverie hypnotique d’Apichatpong Weerasethakul qui eut le don de laisser bon nombre de festivaliers à quai mais sut parler à Tim Burton, président du jury en 2010; Holy Motors, ovni lumineux signé par Leos Carax deux ans plus tard, et suscitant incompréhension et hostilité, l’une entraînant souvent l’autre il est vrai dans un contexte surchauffé où l’hyperbole tient lieu de règle.

La grande bouffe
La grande bouffe

L’on ne compte plus ainsi les films cloués au pilori de la bienséance, les Viridiana de Luis Buñuel (jugé blasphématoire en 1960), La grande bouffe de Marco Ferreri (accusé de tous les maux en 1973) ou autre La maman et la putain, de Jean Eustache, présenté la même année, Ingrid Bergman, présidente du jury, s’indignant que la France  » ait cru bon de se faire représenter par ces deux films, les plus sordides et les plus vulgaires du festival » . Une liste que l’on pourrait étirer à loisir avec les Max mon amour, de Nagisa Oshima (1987), Funny Games, de Michael Haneke (1997), Irréversible, de Gaspar Noé (2002), The Brown Bunny, de Vincent Gallo (2002), Antichrist, de Lars von Trier (2009) ou, il y a un an, Mektoub, my love: Intermezzo, d’Abdellatif Kechiche, échantillon représentatif d’une certaine tendance voulant qu’audace, sexe et violence se voient couvrir d’un même opprobre bien-pensant. Et puisque, plus que le chaos, l’excès règne ici en maître, c’est jusqu’à la fragilité des films qui peut en faire les victimes toutes désignées d’une mauvaise foi impitoyable confinant parfois à l’aveuglement -voir ainsi La frontière de l’aube, le film hanté de Philippe Garrel (2007), passé à la moulinette d’une assistance railleuse, le grand théâtre Lumière se transformant alors en arène. La salle de conférence de presse peut en être une autre, et l’on se souvient bien sûr de Lars von Trier déclaré persona non grata en 2011, après s’être laissé entraîner en terrain miné alors qu’il défendait Melancholia. Ses propos, et la tempête qui s’ensuivit, le privant sans doute d’une seconde Palme d’or, onze ans après celle obtenue par Dancer in the Dark.

Crash
Crash

Enfin, objet de toutes les spéculations et abondamment commenté, le palmarès fait l’objet, sinon de scandales, de discussions parfois vives; ce n’est pas tous les ans en effet qu’un Parasite vient mettre tout le monde d’accord. Présidente du jury en 1979, Françoise Sagan devait briser le secret entourant traditionnellement les délibérations en dénonçant les pressions dont elle avait fait l’objet de la part de la direction du festival pour que Apocalypse Now obtienne la Palme ex-æquo avec Le Tambour -à 40 ans de distance, la charge apparaît cependant dérisoire, le film de Francis Ford Coppola restant un chef-d’oeuvre indiscuté. Le palmarès radical concocté par David Cronenberg et son jury en 1999, et couronnant, à l’unanimité, Rosetta, des frères Dardenne, non sans récompenser aussi L’humanité, de Bruno Dumont, ne fera pas que des heureux, loin s’en faut. Pas plus que la Palme accordée par Quentin Tarantino à Michael Moore pour Fahrenheit 9/11 quelques années plus tard, choix dont l’on peut considérer qu’il fut plus politique qu’esthétique, ni, dans un autre registre, l’audace de Tim Burton saluant Apichatpong Weerasethakul et ses fantômes. Mais soit, les polémiques retombent, les films demeurent…

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