UN MILLION D’EXEMPLAIRES VENDUS D’UN PREMIER ALBUM ET UNE DÉPRESSION CARABINÉE SUIVIE D’UN TOTAL BLOCAGE À L’ÉCRITURE. C’EST L’HISTOIRE TRAGICO-MÉLANCOLIQUE DE RUMER ET DE SON SECOND DISQUE, DÉLICE DE REPRISES SEVENTIES.

C’était il y a 18 mois environ et le premier disque d’une Anglaise alors âgée de 31 ans nous fond dans l’oreille. Pop Cendrillon, Seasons Of My Soul, interprété et composé par Sarah Joyce -Rumer pour les affaires-, ramène des rêves oldies et une sucrerie de première classe. Comme l’entendraient Burt Bacharach ou Karen Carpenter: cette dernière, chanteuse américaine morte à 32 ans d’anorexie, ne cesse d’être citée à propos de Rumer, dont la bio engrange sa part d’ombre perso. Fille naturelle du cuisinier pakistanais d’une famille anglaise expatriée à Islamabad, Sarah/Rumer n’apprend la vérité biologique qu’à onze ans, et fait une première dépression nerveuse à 24 lorsque sa mère meurt d’un cancer du sein. Dans ce contexte douloureux, la future chanteuse concocte des musiques qui, une fois devenues publiques, embaument les cicatrices. Sauf que l’accueil fait à Seasons Of My Soul est à ce point mirifique en Grande-Bretagne que la pression écrase le moral de la nouvelle vedette. L’entretien prévu à l’époque sera donc annulé sans explication: on comprend aujourd’hui pourquoi. Il est remis à un matin pluvieux d’avril londonien 2012: la veille, Rumer s’est joliment donnée dans un showcase aux airs angéliques, dévoilant huit titres de son second album, Boys Don’t Cry, exclusivement composé de reprises de titres du répertoire masculin des années 70.

 » Je ne me suis pas bien débrouillée avec le succès », explique Rumer.  » Et d’ailleurs, je ne cesse de me battre avec lui (…). Cela tient aux choses pratiques: vous vous carbonisez à cent à l’heure, rentrez chez vous pour découvrir que le frigo est vide, qu’il n’y a plus de linge propre et que personne ne s’est occupé de la maison pendant votre absence. C’est le bordel, il fait déjà nuit, la plupart des magasins sont fermés et vous repartez le lendemain matin à six heures sans avoir eu l’occasion de faire le moindre shopping. » Moins glamour que sur ses photos visiblement conçues par un admirateur de Bilitis -fameux film seventies aux flous supposés érotiques-, Rumer est aussi plus tranchée que sa musique aux effeuillages lancinants ne le laisse supposer:  » J’étais donc constamment en colère, agressive, incapable de contrôler mes émotions, il y avait toujours une échéance à résoudre. J’ai vécu ma dépression nerveuse comme un luxe parce que j’allais enfin pouvoir m’arrêter… » Sur le coup, alors que la demande la ramène aux Etats-Unis dans de petits théâtres, Rumer se rend compte d’un blocage d’écriture intégral à la simple évocation d’un second disque. Objet logiquement attendu par le label et tous ceux intéressés par un retour sur investissement d’une artiste inconnue vendant soudainement un million de CD (…):  » Pour moi, un album est la chronique de ce qui se passe dans ma vie, j’écris comme on plante une graine dont j’observe la croissance. Là, il me semblait totalement inenvisageable d’écrire quoi que ce soit. Et puis, je me suis rendue compte en interprétant une chanson de Paul Simon, Long Long Day , issue de l’album One Trick Pony (1980) , que cela fonctionnait bien. Ainsi est née l’idée de faire un disque qui, en quelque sorte, serait le prequel du premier… »

Masculin-féminin

Rumer se donne alors un canevas strict: reprendre uniquement des chansons d’auteurs masculins datées des années 70.  » Ce métier m’a emmenée dans un monde quasi exclusivement mâle: en tournée, je suis entourée de mecs et toutes les cellules de mon corps rentrent alors en voisinage avec cet environnement hostile (elle ne sourit pas, ndlr) composé d’hommes qui sont plus résistants que les femmes, peut-être parce que quand eux rentrent à la maison, on les y attend. » Pas étonnant que l’un des titres repris (dans l’édition de luxe qui comprend quatre titres bonus) soit A Man Needs A Maid, classique de Neil Young 1972 qui célèbre les mérites ambigus du foyer… Rumer s’était donc mise à piocher sur YouTube, à lire des interviews anciennes, à cruiser dans les bars, cafés et magasins de disques (?), à questionner amis et collègues, obsédée de dépiauter des perles plus ou moins enfouies. Délaissant les tubes, hits et autres mélodies marqués au sceau du succès.  » On a dû enregistrer une quarantaine de morceaux, de Todd Rundgren, Isaac Hayes, Hall & Oates, Townes Van Zandt ou Jimmy Webb. » De ce dernier, Rumer reprend P.F. Sloan, l’un des moments cathartiques de Boys Don’t Cry: le songwriter P.F. Sloan a existé, décrochant par interprètes interposés, plusieurs disques à succès entre 1964 et 1967, dont le plus notable – Eve Of Destruction– devient Numéro Un au Billboard. La suite est moins enthousiasmante puisque Sloan ne survécut pas -artistiquement- aux sixties, s’enlisant dans une carrière fantomatique et des problèmes mentaux à répétition. « Je visite le monde de ces auteurs-compositeurs et ces gens parlent pour moi, je suis attirée par leurs histoires comme un aimant, ce projet a été très intuitif », dit Rumer, consciente que ce business multipliant les destins fracassés à la P.F. Sloan, il s’agit bien que cela ne reste qu’une chanson…

RENCONTRE PHILIPPE CORNET, À LONDRES

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