SOUTH BY SOUTHWEST 2014 NE SE RÉSUME PAS À TROIS MORTS RENVERSÉS PAR UN CHAUFFARD EN DÉLIT DE FUITE ET À UNE LADY GAGA COUVERTE DE VOMI FLUO. LA GROUILLANTE FOIRE AUX BESTIAUX DE LA MUSIQUE A RASSEMBLÉ PLUS DE 2500 GROUPES QUI ONT SUÉ SANG ET EAU EN QUÊTE DE TOURNEUR, D’AGENT, DE MANAGER ET DE CONCERTS. RÉCIT D’UNE SEMAINE FOLLE.

« If you’re not part of the police investigation, take a fucking step back. » Jeudi 13 mars. 1 heure du mat. Le centre-ville est à cran et en état d’alerte. Le petit tronçon de rue qui mène au Mohawk, club mythique et rock’n’roll d’Austin, est bloqué par camions de pompiers et voitures de police. Quelques hélicoptères tournoient à basse altitude dans le sombre ciel texan. Un chauffard en délit de fuite poursuivi par les flics s’est engouffré sur Red River, a joué au bowling avec les piétons et tué deux personnes (une troisième est décédée depuis).

« C’est juste un retard dû à des problèmes techniques. Le concert de Damon Albarn n’est pas annulé. Pourquoi le serait-il?« , nous regarde, éberluée, une steward à 100 mètres à peine de la scène de désolation. A South By Southwest plus qu’ailleurs, le show must go on… C’est même toute la philosophie d’un événement schizophrène guidé autant par la musique que par le fric, où les vans tout pourris, rockeurs entassés amplis sur les genoux, croisent les Rolls de starlettes en train de s’enfiler les coupettes de champ…

Au Texas, symbole de ce South By Southwest du fric, de l’extravagance et du mauvais goût, Lady Gaga a mené une conférence sur la dichotomie entre art et commerce. Elle s’est aussi fait asperger de vomi fluo au milieu de cochons mécaniques par Millie Brown, cette artiste qui peint après deux jours de jeûne, en ingurgitant des laits colorés qu’elle gerbe sur ses supports.

Jamais avare en déclarations tapageuses, Miss Gaga, payée deux millions de dollars par Doritos pour sa prestation texane, prétend que « sans sponsorisations, sans ces sociétés qui se rassemblent pour nous aider, nous n’aurions plus d’artistes à Austin. Nous n’aurions plus de festivals parce que les maisons de disques n’ont plus de pognon. »

Les centaines de groupes qui se sont produits jusqu’à une dizaine de fois pendant South By… cette année, et ce, souvent, pour pas un rond, doivent bien se poiler. Car ce qui disparaîtrait d’Austin sans les marques -ces pompes à fric et à notoriété-, c’est le South By Southwest tape-à-l’oeil. Celui de la démesure. Celui qui dégouline. Pas celui qu’on aime, qui bouillonne et crache ses tripes.

Oui. A SXSW, le leader de Blur Damon Albarn (plutôt ennuyeux et miné par des problèmes techniques au Stubb’s) invite Snoop Dogg et De La Soul à le rejoindre. Neil Young himself donne un exposé pour vendre son PonoPlayer, un baladeur numérique haute qualité pour audiophiles (comptez 399 dollars). Mais pendant ce temps, John Dwyer, le leader de Thee Oh Sees, réveille son ancien groupe Coachwhips et sue sang et bière en mode guérilla rock. Dispositif rudimentaire, son étouffé et concerts au milieu du public. Que ce soit aux pieds des scènes ou au milieu d’un pont pédestre à trois heures du matin, Dwyer allume les mèches et fait même à l’occasion péter pour de vrai le feu d’artifice…

Le même état d’esprit règne chez son pote Ty Segall qui joue, en mode électrique et sauvage, dans un jardin, le magasin d’instruments d’un Strange Boys, ou encore un minuscule record store, le Trailer Space, après le couvre-feu. Crowdsurfing guitare en main sur quelques excités qui pogotent entre les vinyles, chanson terminée en jouant à un jeu d’arcade… On le savait, ça se confirme: le rock tient son nouveau héros.

Complètement givré. Le qualificatif vaut aussi pour les malades de Destruction Unit. Emmenés par Ryan Rousseau, ancien membre des Reatards du regretté Jay, le gang d’Arizona dézingue la terrasse du Beerland (elle en a vu d’autres) avec ses trois guitares enragées et une énergie noise dévastatrice. Leur dernier disque, Deep Trip, sent la came, la bonne, et est sorti sur Sacred Bones. Non content d’asséner l’une des claques du festival, les mecs ont failli assommer un spectateur d’un jet de bouteille en verre dans le public.

View Master

A Austin, le festival off -ou devrait-on écrire les festivals off- donne à South By Southwest ses allures tentaculaires. Le temps de cette folle semaine texane, on ne distingue d’ailleurs même plus vraiment ce qui est officiel et ce qui ne l’est pas. De GayBiGayGay et son arc-en-ciel à l’après-midi Castle Face en passant par la fête d’anniversaire de l’éternel Kid Congo (Gun Club, Cramps, Nick Cave) ou la journée Burger Records (ce fameux label de cassettes californien), ces événements annexes ont le gros avantage de rassembler des communautés et de se créer une ambiance.

Non content d’envoyer sur les routes d’Austin son Rolling Record Store, Jack White a cette année installé dans un hangar le quartier général de son label Third Man Records. La bière y est gratuite. Et meilleure qu’ailleurs. Les groupes déménagent. Que ce soit les Anglais masqués de Black Mekon ou les nerveux Useless Eaters… Dans la pièce d’à côté, on se croirait au musée. Sauf que tout ou presque s’achète chez le roi du gadget. Le rond de tourne-disque Third Man, le casque Third Man, la boucle de ceinture Third Man et même le stéréoscope (mais si, cette petite boîte en plastique View Master ou Lestrade dans laquelle on regardait des images quand on était gosses) Third Man… Monsieur Jack a tout compris.

L’Austin Psych Fest, qui amènera à Austin tout ce qui se fait de plus fumant au mois de mai (une affiche à nouveau démentielle), tient elle aussi le bon bout. Quatre scènes à l’Hotel Vegas. Et une cinquantaine de groupes entre 1 h 15 de l’aprèm et 2 h du mat… De quoi donner le tournis. En vrac, les Black Lips, qui seront le 3 juin au Bota, présentent avec bonne humeur leur nouvel album sous des jets de canettes qui les rendent heureux. Les Wytches (avec un y pour que ce soit plus facile à Googler), entre Nirvana et le premier Horrors, font oublier avec une fameuse force de frappe les surestimés Temples et sauvent la face de l’Angleterre. Sean Lennon surprend tout son monde avec son psychédélique GOASTT (The Ghost of a Saber Tooth Tiger). Tandis que The Entrance Band, qui ne s’est jamais remis d’un 2,2 dans Pitchfork en 2009, semble tout doucement sortir la tête de l’eau.

Plus loin, au Street-Legal Guitars, Ex-Cult (protégés de Ty Segall qui sortiront leur nouvel album, Midnight Passenger, le 29 avril) cartonnent avec un son méchant et un chanteur surexcité au regard de psychopathe.

Et les filles dans tout ça? Cette année, à South By Southwest, on les a aimées avec des couilles -la chanteuse destroy de Perfect Pussy, gang bruitiste de Syracuse, entre des Sonic Youth et des Yeah Yeah Yeahs sous stéroïdes-, ou sans -les sexy Habibi, des rockeuses qui auraient pu enregistrer des disques pour la Motown.

Jésus Christ Superstar

C’est pas pour une demi-heure. Rangez vos bières, éteignez vos clopes et s’il vous plaît ne vous enfermez pas dans le confessionnal. A South By Southwest, on peut aussi apprécier des concerts dans des églises. Un refuge qui convient particulièrement bien à Nick Mulvey, en congé de Portico Quartet, malgré des chansons folk pleines de tics. Mais sied moins à l’ex-Red House Painter et désormais Sun Kil Moon Mark Kozelek, pourtant auteur d’un très joli dernier album. Les lois de South by Southwest sont impénétrables…

Au beau milieu de la 6e, sorte de rue neuve en période de soldes avec des cafés à la place des magasins de vêtements, vous pouvez ainsi découvrir à l’avant d’un bar restaurant quatre jeunes mecs prometteurs de Waco, The Loafers, qui n’ont pas d’album mais l’énergie contagieuse d’un Spinto Band et un son noisy des années 90. Avant d’applaudir le Bruxellois Fred Lyenn (passé par New York plancher sur son nouvel album) dans un bar lounge, à l’étage d’un hôtel de luxe.

Que retenir encore? Le bordel dégingandé des Orwells avec leur petit côté Libertines ricains. Les talents de Jonwayne, rappeur proche du Low End Theory Club (Flying Lotus, Gaslamp Killer), programmé au festival de Dour. Ou encore l’étonnant Har Mar Superstar. Minuscule showman grassouillet à la calvitie grimpante et aux cheveux gras, Sean Tillmann -son vrai nom- n’a pas juste écrit pour J. Lo et Britney: il a déjà sorti quatre albums solo. Et le cinquième, gorgé de soul et de cuivres, enregistré avec Jim Eno (Spoon) devrait être le bon. Celui de la révélation. Un concert kitsch, torse nu et poils au vent…

South By Southwest 2014, ce fut aussi le DJ sixties Jonathan Toubin en maître de cérémonie d’un concours de danse, Kelis derrière les fourneaux (ceux de son food truck) et Tyler The Creator derrière les barreaux (pour incitation à l’émeute). Don’t mess with Texas…

TEXTE Julien Broquet, À Austin

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