Laurent Hoebrechts
Laurent Hoebrechts Journaliste musique

MÊLANT L’HÉRITAGE DES GRIOTS À DES INFLUENCES PLUS OCCIDENTALES, LE MALIEN BASSEKOU KOUYATÉ FAIT FAIRE DES ÉTINCELLES À SON LUTH TRADITIONNEL, LE NGONI.

Bassekou Kouyaté & Ngoni Ba

« Ba Power »

DISTRIBUÉ PAR GLITTER.

8

L’Afrique n’arrête décidément plus d’envoyer de nouvelles pépites musicales, l’une après l’autre. Un peu comme si, pendant que les hommes restaient bloqués de l’autre côté de la Méditerranée, la musique forçait le passage à leur place. De Songhoy Blues au Mbongwana Star (dissident du Staff Benda Bilili), les disques brillants, électriques, n’ont en effet pas manqué ces derniers mois. Comme autant d’appels du pied de la part d’un continent qui ne veut pas se laisser enfermer éternellement dans les mêmes clichés. Une terre assez vaste pour contenir, certes, tous les malheurs du monde, mais aussi une incommensurable énergie. Un genre de pulsion vitale qui irrigue notamment les arts et, en particulier, la musique.

Le nouvel album du Malien Bassekou Kouyaté en est un parfait exemple. Dès le premier morceau, il luit, brille, rayonne. Bouillonnant, Siran Fen est un blues volubile, galopant, qui vous agrippe instantanément pour ne vous lâcher qu’une fois la dernière décharge éteinte.

Né en 1966 dans le village de Garana, près de Ségou, à quelque 230 km de Bamako, Bassekou Kouyaté s’est notamment illustré aux côtés de Toumani Diabaté ou du grand Ali Farka Touré (il était du projet posthume Savane). Il est surtout connu pour sa maîtrise du ngoni. Ancêtre présumé du banjo, l’instrument est l’un des plus anciens utilisés par les griots. Bassekou Kouyaté perpétue ainsi une tradition héritée de l’empire mandingue, et transmise notamment par son père. Tout au long de ses trois premiers albums, il n’a cependant eu de cesse d’actualiser le son du luth ancestral, de lui donner de nouvelles couleurs. Par exemple en faisant jouer ensemble quatre ngoni à la fois, en rajoutant des cordes aux quatre de base, ou encore en se branchant sur le courant électrique.

Le geste est encore plus spectaculaire avec ce Ba Power, décrit par l’intéressé lui-même comme un disque d’afro-rock, mélangeant dans les faits les rythmes bambara, le blues et des digressions rock -démontrant, s’il le fallait encore, à quel point ces musiques partagent le même ADN. L’affaire reste essentiellement familiale: on retrouve dans le quartet de ngoni les fils de Bassekou Kouyaté, tandis que sa femme, Amy Sacko (la « Tina Turner du Mali »), prend à son compte la plupart des voix. La musique n’en est que plus fluide, évidente, naturelle.

Ce qui n’empêche pas le maître d’oeuvre d’ouvrir le jeu. Sur Musow Fanga par exemple, une trompette bouchée -celle de Jon Hassell- vient se poser délicatement. A côté de la pédale wawa à laquelle Bassekou Kouyaté a raccordé son ngoni, et du jeu de batterie pris en charge par l’Anglais Dave Smith (vu aux côtés de Robert Plant), la guitare électrique de Samba Touré rajoute encore l’un ou l’autre motif rock (Ayé Sira Bla). Avec son final extatique, Waati se fait lui presque funk.

Sur le précédent album Jamako, sorti en 2012, Bassekou Kouyaté s’inquiétait du sort du Mali, déstabilisé par un coup d’Etat, et accablé par l’offensive rebelle islamiste au nord du pays. Trois ans plus tard, Ba Power a beau être plus optimiste, il sonne toujours comme un appel à la résistance. Plus flamboyant que jamais.

EN CONCERT CE 15/05 À DE ROMA, ANVERS.

LAURENT HOEBRECHTS

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